Arc-en-ciel de la gravité

1755, tremblement de terre à Lisbonne — un sentiment nouveau de la catastrophe est né de cet horizon bouleversé pour inaugurer le temps de l’incroyance, dès lors que cet ébranlement sans précédent a fait surgir la question du sens d’un désastre qui n’était imputable ni à Dieu ni aux hommes. Manifestement libre de tout fondement religieux ou philosophique, ce bouleversement a introduit à un autre temps comme à un autre espace, et par là même, à un autre rapport à l’inhumain. En effet, de n’être limité par rien, l’imaginaire catastrophique qui est alors apparu, tout en révélant la démesure qui était en nous, a soudain rendu possible de donner former à un désir de négation absolue, jusqu’alors inconnu comme tel. On n’a guère évalué ce que nous devons d’horizons insoupçonnés, de contrées surgissantes, et de profondeurs nouvelles à cette force négatrice. Loin de s’installer dans le théâtre bloqué d’une fin du monde régulièrement réitérée, elle aura agi des esprits tels que Sade, Nerval, Baudelaire, Cros, Rimbaud, Jarry ou Mallarmé… C’est elle qui, de la fin du dix-huitième siècle jusqu’au milieu du vingtième siècle, aura éclairé notre nuit de toutes les couleurs du feu intérieur, nous rappelant à travers le luxe de cet insaisissable arc-en-ciel quelle grandeur était à notre portée.

Annie le Brun : Si rien avait une forme ce serait cela


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