Source : Le Siècle par Alain Badiou, éditions du Seuil, collection L’Ordre philosophique, relecture en cours.
Ce qu’on voit dans les appels répétés à la délation, à
la peine de mort, au lynchage immédiat dès qu’il est question d’un rapport
sexuel avec un enfant : devant ces appels violents, devant lesquels
l’autorité a bien de la peine à rester impavide, il n’est jamais question,
jamais, de ce que Freud a mis en avant : que l’enfance, au plus loin de
toute « innocence », est un âge d’expérimentation sexuelle sous
toutes ses formes. Bien entendu, la loi doit dire qui est un enfant, un mineur
et qui ne l’est pas ; à quel âge on dispose librement de son corps, et
comment punir ceux qui transgressent ces dispositions légales.
Quant aux meurtres, comme toujours, ils doivent être
réprimés de la façon la plus juste et la plus sévère. Cela dit, il est non
seulement inutile mais nuisible d’en appeler pour ce faire à des
représentations archaïques de l’enfance, ou à un moralisme mensonger, en
oubliant quelles puissantes pulsions, quelle curiosité sexuelle toujours en
éveil, structurent n’importe quelle enfance. Si bien qu’il est forcément
délicat de mesurer le degré de complicité d’un enfant avec ceux qui
entreprennent de le séduire sexuellement, même si l’on pose, ce qui est juste,
que l’existence de cette complicité éventuelle ne vaut pas absolution pour
l’adulte qui en profiterait.
Ajoutons que ceux qui organisent pétitions, délations, sites Internet et lynchages incontrôlés à propos des pédophiles feraient bien d’examiner la structure pathogène, y compris sexuellement, de la famille. L’écrasante majorité des meurtres d’enfants sont commis, non par des louches pédophiles célibataires, mais par les parents, et singulièrement par les mères.
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