Il s’en suit que le problème de Matrix
ne réside pas dans la naïveté scientifique de ses effets : puisque tout ce
dont nous avons besoin, c’est d’un espace vide ou d’un trou par lequel
s’échapper, l’idée de passer de la réalité « réelle » à la réalité
virtuelle par voie téléphonique fait sens. Mais peut-être que les toilettes
auraient été une meilleure solution : le lieu où les excréments
disparaissent, après avoir tiré la chasse, n’est-il pas effectivement une des
meilleures métaphores de l’au-delà primordial, horrifique et sublime, du chaos
pré-ontologique où toute chose disparaît. Quand bien même, rationnellement,
nous savons où vont les excréments, le mystère imaginaire demeure : la
merde reste un excès qui ne trouve pas sa place dans notre réalité
quotidienne ; Lacan avait bien raison de dire que le passage de l’animal à
l’homme était ce moment où l’animal stupéfait ne sait que faire de ses
excréments, ce moment où ils deviennent problématiquement excessifs. Le Réel,
ce n’est donc pas essentiellement la chose horrible et dégoûtante faisant naufrage
dans les toilettes, mais le trou lui-même, cet espace vide qui sert de passage
à un ordre ontologique différent.
Slavoj Žižek : La subjectivité à venir
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