Le texte livresque est mon foyer, et lorsque je dis
nous, c’est à la communauté des lecteurs livresques que je pense. Ce foyer est
aujourd’hui aussi démodé que la maison où je suis né, alors que quelques lampes
à incandescence commençaient à remplacer les bougies. Un bulldozer se cache
dans tout ordinateur, qui promet d’ouvrir des voies nouvelles aux données,
substitutions, transformations, ainsi qu’à leur impression instantanée. Un
nouveau genre de texte forme la mentalité de mes étudiants, un imprimé sans
point d’ancrage, qui ne peut prétendre être ni une métaphore, ni un original de
la main de l’auteur. Comme les signaux d’un vaisseau fantôme, les chaînes
numériques forment sur l’écran des caractères arbitraires, puis s’évanouissent.
De moins en moins de gens viennent au livre comme au port du sens. Bien sûr, il
en conduit encore certains à l’émerveillement et à la joie, ou bien au trouble,
et à la tristesse, mais pour d’autres, plus nombreux, je le crains, sa
légitimité n’est guère plus que celle d’une métaphore pointée vers
l’information.
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