Source : La Décadence, histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine, par Julien Freund, éditions du Cerf, seconde édition, préface de Jérônimo Molina Calo, texte relu et corrigé par Pierre-André Taguieff.
Georges Vacher de Lapouge constitue lui aussi un cas.
Il appartient au courant du darwinisme social, très influent autour des années
1900 dans les milieux du darwinisme social, très influent autour des années
1900 dans les milieux de gauche en France et en Allemagne. Ami de Paul Valéry,
admiré par Jean Rostand, il passe pour un remarquable entomologiste.
Il fut socialiste comme la plupart des darwinistes
sociaux et se présenta même aux élections, et en même temps, il était
sélectionniste, c’est-à-dire théoricien de l’élitisme. Il fut le fondateur en
France de l’anthropo-sociologie, précurseur de l’actuelle sociobiologie. Son
propos était d’expliquer « la chute et la fin des familles, des races, des
peuples. » Il écrivait déjà à cette époque : « Si l’homme est
un Dieu en formation, c’est un Dieu mortel, et si inconcevable que puisse être
le progrès futur, sa fin viendra. Quand le soleil aura cessé de féconder la
terre, mère de toute chose, l’heure aura sonné et la mort viendra glacer le
dernier de ces prodigieux génies. »
Bien qu’il ait écrit des articles sur la race aryenne,
on ne saurait le qualifier de raciste au sens usuel du terme de nos jours. En
effet, le concept de race ne lui plaisait guère, parce qu’il ne traduisait pas
exactement sa pensée, et il proposa de lui substituer celui d’ethnie. À son
point de vue, la décadence aurait son origine « dans la plus rapide
destruction des plus parfaits » ou encore dans le fait que les eugéniques
sont submergés au cours du processus de sélection sociale par la masse des
faibles et des médiocres, par les dysgéniques. Il met en cause les guerres qui
fauchent les meilleurs, la politique qui favorise la masse du commun, la
religion qui interdit par le célibat à de nombreux eugéniques de se reproduire,
etc.
C’est donc dans ses écrits de la fin de sa vie, en
particulier dans un article au titre significatif, Dies irae, la fin du
monde civilisé qu’il s’exprimera le plus clairement sur la décadence à venir :
« Les temps derniers verront les hommes affranchis de toute civilisation,
rendus à la liberté élémentaire, nicher dans les cavernes, emprunter leurs
pardessus aux hommes de la forêt, s’inviter au repas des sangliers et des
loups. Il ne se verra plus qu’une inégalité entre les hommes, une seule :
l’inégalité de celui qui est à la broche et de celui qui la tourne. »
L’homme retournera à la vie de singes, reprenant ainsi
une idée de Gobineau qui voyait les hommes devenir semblables aux troupeaux de
buffles. La Première Guerre mondiale confirmait à ses yeux ces prévisions
catastrophiques, encore que dans la préface à la traduction de l’ouvrage de
l’américain Madison Grant, Le Déclin de la grande race (1926), il ait
manifesté une indulgence inhabituelle pour certains États de l’Union parce
qu’ils pratiquaient certaines mesures sélectives. Quant au pays latin, il les
voyait irrémédiablement voués au déclin.
Seul le socialisme demeurait comme un espoir, du fait qu’il se donnait pour projet la transformation radicale de l’homme, la création de l’homme nouveau, que Marx appelait l’homme total. D’où la conviction qu’il exprimait dans les Sélections sociales : « Le socialisme sera sélectionniste ou ne sera pas : il n’est possible qu’avec des hommes faits autrement que nous, et ces hommes, la sélection peut les faire. » Si ce rêve est irréalisable, alors, il faudra s’attendre à la fin de la civilisation, démolie par le surnombre des dysgéniques.
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