Ill. : Léon Chestov, le plus grand. Source : La Raison d’être, méditation sur l’Ecclésiaste par Jacques Ellul, éditions du Seuil, collection Sagesse.
« Vous voyez donc bien qu’un texte ainsi construit
ne peut venir de Dieu. » Ce critère de cohérence logique formelle est un
critère adéquat dans la perspective d’une désacralisation du texte, mais tout à
fait inadéquat quand il s’agit de comprendre le texte lui-même. L’intelligence
hébraïque n’obéissait pas à une logique de cet ordre.
Or, ce principe a conduit à tirer des conclusions très
radicales. J’en retiendrai deux. La première, c’set que, de toute évidence,
l’Ecclésiaste contient des contradictions formelles. Nous en trouvons bon
nombre sur notre chemin. Un seul exemple : d’un côté, l’Ecclésiaste dit
sans nuance que la sagesse, c’est du vent ; de l’autre, nous avons de
nombreux textes où il vante fort la sagesse, où il soutient l’importance de
l’homme sage, de la recherche de sagesse.
Conclusion d’un homme raisonnable de notre temps :
un même homme ne peut pas avoir écrit deux choses aussi contradictoires et dont
la contradiction ne peut même pas être résolue par le procès dialectique. Il
n’est pas possible de « penser » en même temps les deux. Donc, il y a
sûrement deux auteurs, pour ce style, ce qui semble confirmé par des
différences de style, de vocabulaire, etc. Cette rigueur conduit à diviser et
répartir le texte en groupes cohérents, du point de vue de la
non-contradiction. Mais, faisant cela, elle ne tient pas compte de certaines
questions qui ne sont même pas posées.
Admettons d’abord qu’un même homme ne puisse écrire des
choses si contradictoires, mais alors comment se fait-il qu’un homme, le
dernier rédacteur, ait « piqué » ainsi des fragments parfaitement
incohérents et les ait mélangés de cette façon ? Il faudrait alors lui
reconnaître le même défaut de logique et de cohérence mentale. Le pire, c’est
qu’il a fait ce mélange en brisant l’unité des textes antérieurs. Il les a
cousus si maladroitement que les contradictions paraissent comme des montagnes.
Il fallait vraiment que ce rabbin soit absurde. Mais le pire encore, c’est
qu’un texte ainsi re-trafiqué ait pu être considéré par le peuple élu comme
inspiré par Dieu, qu’il ait été inséré dans le « Canon » !
Celui-là et non un autre, plus pur, plus authentique ! Quelle étrange
conception !
En second lieu, on ne se pose pas la question de savoir si, dans une méditation aussi fondamentale, il n’est pas possible qu’on puisse écrire des choses contradictoires ? N’est-il pas possible chez Pascal, chez Kierkegaard, chez Nietzsche, d’aligner des textes contradictoires et d’affirmer qu’il est inacceptable que le même ait écrit le Journal d’un séducteur et L’École du christianisme.
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