Source : Parce que la nuit, par Chloé Thomas, éditions Rivages, collection Bibliothèque Rivages
Depuis le début, tout : les microbes augmentés,
les plantes carnivores, le sommeil impossible, était une stratégie des Sconges
pour nous tuer jusqu’au dernier : ils avaient tout prévu, tout manigancé.
Ils nous trouvaient laids. La laideur les révulse. Ils avaient résolu de nous
éliminer, d’épurer l’univers de notre présence répugnante. Le stratagème a
fonctionné : nous mourrons tous.
Le mode opératoire n’en demeure pas moins absurde.
N’aurait-il pas suffi, vu la puissance de feu des extraterrestres, vu leur
avance technologique, leurs pouvoirs incroyables, de nous laisser crever la
gueule ouverte là où nous étions, sans nous offrir l’occasion d’une course
effrénée à travers la galaxie ? Pourquoi alors ce voyage auquel on ne
croit guère, tant il est cousu de fil blanc, libéré de toute contrainte
scientifique et technologique par des atmosphères éternellement respirables,
des fusées éternellement mobiles, des langues éternellement comprises ?
C’est que les Sconges, écrit Jacques Sternberg,
« ignorant tout de la mythologie classique du meurtre et trouvant ridicule
l’usage des bombes et des armes à feu », devaient nécessairement agir
autrement que selon un bas raisonnement de Terrien. La pauvreté de l’argument
ici se dénonce d’elle-même : et les pages finales révèlent en creux autre
chose. L’errance odysséenne jusqu’à Orchide, où les Sconges viendront à la
rencontre des Terriens pour les emmener jusqu’à leur dernière planète, n’était
que le prétexte halluciné à occuper une insomnie d’écrivain…
Parce qu’on ne dort pas, inventer une suite de monde
comme on enfile des perles, les relier comme on peut, et tant pis si le récit
demeure un peu lâche, car l’important n’est pas vraiment de faire tenir
l’ensemble, mais de chercher pour soi la chute dans la fosse. Dans la fatigue
inconsolable du monde sans sommeil, on déverse les images boiteuses de planètes
nouvelles en succession hachée. C’est une vengeance : écrire pour
écrire des rêves, et précisément dans ces moments d’épuisement où le
sommeil nous déserte et nous en prive.
Si l’on peut lire La Sortie est au fond de l’espace comme une sorte de récit de rêve, rêve que l’on aurait fait, ou mieux encore, que l’on voudrait faire, alors, cela le met peut-être un peu à part dans la littérature de science-fiction, souvent plus prompte à ancrer scientifiquement ce qu’elle fait arriver et à resserrer sa trame pour donner au récit une efficace.
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