Dandy de grand chemin

 

Source : La Décadence, histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine, par Julien Freund, éditions du Cerf, seconde édition, préface de Jérônimo Molina Calo, texte relu et corrigé par Pierre-André Taguieff.

Dans la revue d’Anatole Baju, l’artificiel était à l’honneur. La plupart des membres du groupe s’affichaient comme des « dandys quintescents. » Leur joie consistait à jeter la syntaxe aux orties, à se contredire, à multiplier les antiphrases et à jongler avec les néologismes et les paradoxes. Baju affirmait successivement que le « progrès est lent mais éternel » et que « c’est très beau d’être humain, mais à force d’humanité, on devient bête. »

En principe, seul l’art comptait, selon le principe de l’art pour l’art. Aussi convenait-il de s’affranchir de la morale aussi bien que de la politique et de la question sociale. Cet esthétisme était cependant animé de leur conviction profonde d’être les représentants de l’art de l’avenir. Vareilles, un des rédacteurs habituels, s’adressait en ces termes aux jeunes : « Les Anciens étaient de leur temps. Nous voulons être du nôtre. Nous avons une langue et une littérature en harmonie avec le progrès de la science. N’est-ce pas notre droit ? Et c’est qu’on appelle décadence ? Décadence, soit Nous acceptons le mot. Nous sommes des Décadents, puisque cette décadence n’est que la marque ascensionnelle de l’humanité vers les idéals réputés inaccessibles. »

Tout laisse à croire qu’ils se sont appelés décadents par dérision. En effet, il s’agissait surtout pour eux d’inventer de nouvelles formes, un nouveau style, les uns voulant faire d’un vers une musique, les autres des mots une peinture. En vertu de leur amour pour le paradoxe, la décadence était plutôt le signe d’un effort de renouvellement et de renaissance de la pensée artistique et littéraire.

Commentaires