Source : Préface de Dominique Laporte aux Rites scatologiques de John Gregory Bourke, éditions Presses Universitaires de France, collection Philosophie d’aujourd’hui, collector.
Si la scatologie (prise en ce sens extrêmement large
qui recouvre des entreprises par ailleurs aussi diverses que la Bibliotheca
scatologica et Scatologic Rites of All Nations) est quelque chose
comme le contretype ou le négatif d’un certain imaginaire du Livre, c’est
peut-être que le lieu de la réversibilité constante du tout et du rien se
trouve être aussi ce qu’il y a de plus adéquat pour imaginariser ce qui se
désigne comme création par excellence, celle qui est à elle-même sa propre
origine, sans rien pour la précéder ni la causer.
Il est significatif que, parmi toutes les cosmogonies
d’inspiration scatologique (la création du monde est très fréquemment
apparentée à une déjection divine, c’est un objet détaché du corps — merde,
larmes — qui est cause du monde), parmi tous les cultes qui conjuguent cette
thématique à celle des divinités animales, le scarabée des anciens Égyptiens
occupe une place où il est simultanément l’image vivante du soleil, le symbole
de la résurrection, origine de lui-même et métaphore de toute création.
Le scarabée sacré ou ateuche sacrée, désigné
sous le nom de scarabée pilulaire à cause des boules creuses de fiente qu’il
forme pour déposer ses œufs dans leur intérieur, connu aussi sous les noms d’escarbot,
roule-crotte, fouille-merde en français, dung-beetle en anglais,
était l’objet d’une croyance extrêmement répandue et qui survécut longtemps
puisqu’on en trouve trace chez Plutarque, Élien, Porphyre, selon laquelle son
espèce ne connaissait pas de scarabée femelle mais un seul sexe, mâle, qui se
reproduisait en déposant sa semence dans les fientes et les excréments qu’il
façonnait en forme de sphère, qu’il roulait en les poussant avec ses pattes de
derrière comme le soleil s’en va roulant le ciel…
Symbole de l’éternité, le scarabée sacré est l’objet
d’un culte qui montre la reproduction asexuée, ou univoquement sexuée,
tendanciellement associée à une représentation anale ou cloacale de la
génération, qui vaut peut-être pour elle-même pour la condition de ce cycle
éternitaire où l’animal est incessamment l’auteur de lui-même, sa cause unique
et son unique devenir.
Simultanément, boue et fiente inanimées sont le lieu où le néant se renverse, coagulant la vie dans la sphère du soleil ou du monde lancés dans leur rotation perpétuelle : les matières sont le lieu de l’éternité ; nulle déréliction n’est moins tournée vers la finitude que celle qui unit au perpétuel recommencement la Tentation par excellence : être la matière.
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