Rue barbare

 

Source : Les Fables peintes du corps abîmé, les images de l’infirmité du seizième au vingtième siècle par Henri-Jacques Stiker, éditions du Cerf, collection Histoire, recommandé par Neûre aguèce, no copyright infringement intended.

Rue de Prague (1920) : Même corps prothétisés que dans Les Joueurs de Skat, de la même année. Le caractère artificiel est souligné par le rapport entre les amputés appareillés et les mannequins des vitrines de cette rue. Ces membres de cire, inertes, portent des sous-vêtements, dont certains sont des corsets, proches de certaines orthèses. Les mannequins sont tout à la fois postiches et en morceaux. Là encore, il s’agit de pièces détachées et qui plus est de « parures », sur de faux corps de femmes.

Le mendiant dont les tibias et les pieds sont remplacés par deux bouts de bois en guise de prothèses se présente comme un homme désarticulé dont un des bras est entièrement mécanique. C’est un spectacle à fuir. À gauche, on aperçoit le bras en arrière de quelqu’un qui s’éloigne. À droite, c’est encore plus explicite, avec le fessier d’une dame qui tourne les talons, talons d’une chaussure prétentieuse qui est plus proche de la chaussure orthopédique que d’un soulier élégant, comme s’il y avait, ici, un trait d’humour : les appareillés ne sont pas seulement ceux qu’on pense. Il faut fuir, mais il faut aussi expulser : le cul-de-jatte sur son chariot roulant passe sur une pancarte, tout en étant rejeté en arrière, pancarte sur laquelle s’inscrit : « Juden raus. »

Nous ne sommes qu’en 1920, prémonition remarquable de l’artiste sur l’antisémitisme qui allait submerger l’Allemagne sous la férule hitlérienne. Peut-être cet infirme est-il Juif ? Les roues de sa planche ressemblent à des étoiles, comme semble l’être la décoration qu’il porte sur le revers de son veston. En tout cas, il y a un rapprochement qui marque l’étrangeté de ces personnages amputés, leur connexion avec les groupes insupportables.

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