Prose fractale

 

Source : Les Métamorphoses du cercle par Georges Poulet, préface par Jean Starobinski, éditions Flammarion, collections Champs Idées et recherches

L’univers portatif a le mérite d’être transparent. On peut en apercevoir de l’extérieur tous les rouages. Quand il le contemple non seulement le regard va de haut en bas, au lieu de bas en haut comme lorsqu’il contemple le macrocosme, mais ce regard pénètre sans résistance à l’intérieur de l’objet. Il le possède donc à la fois au-dedans et par le dehors. Enfin, si ce monde est transparent, c’est qu’il est fait tout entier de cristal. Le cristal est le signe de la transformation que subit l’univers en passant du maximum au minimum et du naturel à l’artifice.

Comme Gaston Bachelard l’a montré, le cristal, le verre, la nacre de la perle, la glace de l’eau congelée, même dans une certaine mesure le métal des rouages de la machine, sont l’indication d’un processus par lequel à l’organique se substitue une matière à la fois minérale et lumineuse, bref, une matière spiritualisée. Quand le Père Binet se réjouit de voir l’univers réduit à des proportions minuscules, il se réjouit de le voir réduit à une abstraction. Le globe est devenu globule, la forme sphérique est devenue formule. Formule magique, puisque le globule contient le globe et le Rien, le Tout. C’est dans un même esprit que Marino dira en parlant de la mappemonde : « La grande roue du Tout est dans un petit rond. »

Une simple horloge peut inspirer les mêmes sentiments… l’horloge est un char d’Ézéchiel : on y trouve des roues dans les roues, et si les moindres cercles tournent dans les grands, ils reproduisent à leur échelle le mouvement et la forme des grands. Le petit monde est donc une image fidèle du plus grand et c’est même grâce à cette opération de réduction qu’il est possible de comprendre comment fonctionne le plus grand. Rien de plus fréquent chez les poètes baroques que ce processus de réduction, exactement inverse de celui par lequel ils s’efforcent si souvent d’enfler leur pensée et de lui donner des dimensions universelles.

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