Source : John von Neumann, l’homme qui venait du futur, l’histoire d’un des plus grands génies du siècle, par Ananyo Bhattcharya, éditions Quanto.
Les études menées sur les origines et l’influence de la
théorie des jeux n’offrent généralement pas une image flatteuse de son
géniteur. « La théorie des jeux fait le portrait d’un monde d’individus
intelligents et calculateurs lancés dans une quête effrénée et impitoyable de
ce qu’ils perçoivent comme leur intérêt personnel » dit Steve J. Heims,
physicien devenu historien.
« La dureté de cette représentation hobbesienne du
comportement humain est repoussante pour beaucoup, mais von Neumann préférait
mille fois pécher par excès de méfiance et de suspicion que de se bercer
d’illusions concernant la nature des gens et de la société. »
Heims attribue cette misanthropie de von Neumann à son
expérience de la Hongrie de Béla Kun à l’adolescence. Mais von Neumann a été
beaucoup plus marqué par les événements auxquels il a assisté en Allemagne.
« La haine, la répugnance qu’il vouait au nazisme étaient sans borne,
raconte Klari. Ils sont venus détruire son univers intellectuel parfait. Ils se
sont empressés de disperser la concentration des esprits pour y substituer les
camps de concentration où beaucoup de ceux qui n’ont pas été assez rapides… ont
péri des plus atroces souffrances. »
Dès son retour en Europe, en 1949, von Neumann avait
perdu toute foi en l’humanité : « Je ressens pour l’Europe l’inverse
de la nostalgie, écrit-il à Klari, parce que chaque coin de rue me rappelle le
monde qui a disparu et dont les ruines ne sont d’aucune consolation. Mais si je
n’aime pas l’Europe, c’est aussi à cause du souvenir de l’époque où j’ai perdu
mes dernières illusions au sujet de la décence humaine, entre 1933 et septembre
1938. »
Pourtant, dans Théorie des jeux, même les plus endurcis
des joueurs imaginés par von Neumann, le rationaliste par excellence, se
prêteraient selon lui à la coopération pour obtenir un avantage partagé. Nash,
en revanche, qualifierait rétrospectivement sa propre pensée de plus
individualiste, plus « américaine. » On peut considérer que c’est la théorie
des jeux selon Nash, et non celle de von Neumann, qui incarne le mieux la
paranoïa des premières heures de la guerre froide et dans les décennies suivant
la Seconde Guerre mondiale, c’est la solution de Nash qui gagnerait les
universités et la RAND Corporation…
Dans le dispositif de Nash, les joueurs n’étaient ni autorisés à communiquer, ni à s’allier, comme s’ils étaient à jamais coincés dans une partie de « So long, sucker », le jeu inventé par McCarthy, Shubik, Shapley et Nash lors de leurs études, destiné à pousser psychologiquement les gens à la limite, où les joueurs devaient contacter des alliances puis les trahir pour mieux l’emporter. Il est notoire que certains couples, après une partie, rentraient chez eux dans deux taxis différents.
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