Nébulaire

 

Source : Cyberpunk’s not Dead, laboratoire d’un futur entre techno-capitalisme et post-humanité par Yannick Rumpala.

Jeff Bezos, le fondateur et PDG de l’entreprise de commerce en ligne Amazon, envisage de déplacer l’industrie lourde ailleurs que sur Terre. Les conséquences de cette déterritorialisation dépassent la seule dimension économique : elles sont aussi sociales et politiques. Par la même occasion, c’est la fin de la lutte des classes par KO d’un des deux adversaires. L’horizon, posé essentiellement comme une spéculation logique dans le cyberpunk, pourrait être résumé à la manière de Jean Baudrillard, même si ce dernier se situe dans un autre registre :

« Le prolétariat, lui, a tout simplement disparu. Il s’est évanoui en même temps que la lutte des classes. Il n’y a pas de doute que si le capital s’était développé selon sa propre logique contradictoire, il eût été défait par le prolétariat. L’analyse de Marx reste irréprochable. Il n’avait simplement pas la prévu la possibilité pour le capital devant cette menace imminente, de se transpolitiser en quelque sorte, de se placer en orbite au-delà des rapports de production et des contradictions politiques, de s’autonomiser dans une forme flottante, extatique et aléatoire, et ainsi de totaliser le monde à son image. »

Le développement du cyberespace joue également comme un facteur de déterritorialisation, mais à un autre niveau. David Brande, doctorant en littérature anglaise au moment où il écrivait, avait noté que le cyberespace mis en scène par William Gibson pouvait être vue comme une manière pour lui de construire une espèce de géographie fantasmagorique d’un capitalisme post-national. De ce point de vue, il remplirait les mêmes injonctions fondamentales que la frontière et État-nation à une époque antérieure : un fantasme d’expansion sans fin des marchés et de possibilités futures, ainsi que les moyens d’une déterritorialisation symbolique au service des plus larges déterritorialisations du marché global.

Si le pouvoir a migré, c’est aussi parce qu’il est devenu celui d’une intelligence machinée, autrement dit n’ayant plus nécessairement besoin de passer par des médiations organiques. Il réside dans des puces de silicium et les machines qui les incorporent, dont les formes les plus évoluées sont comme des entités agissantes. En intégrant les intelligences artificielles dans leurs récits, les écrivains majeurs du courant cyberpunk figurent parmi les rares auteurs qui ont senti qu’elles allaient faire corps (façon de parler) avec le devenir du capitalisme, ce dernier prenant ainsi une nouvelle dimension, encore plus inaccessible à toute tentative de régulation.

Dans Neuromancien, ces IA se révèlent avoir des motivations propres, mais le récit de William Gibson amène aussi à se demander ce qu’elles gardent comme mentalités et penchants de leurs créateurs. Et, s’agissant des manies et des travers, pas forcément les plus sympathiques en l’occurrence…

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