Source : Histoire de la merde (prologue) par Dominique Laporte, éditions Christian Bourgois.
Produire, littéralement, c’est chier. « Est-ce en
effet, lance-t-il à l’adresse de Malthus, qu’avec toutes vos richesses, vous
produisez quelque chose ? Non, c’est la nature qui produit tout, et, quand
vous pénétrez au fond de tous vos moyens de produire, l’industrie vous renvoie
à l’agriculture et celle-ci à vos fumiers. »
Cette immense chierie de l’univers, de la
« puissance divine du limon terrestre d’où l’auteur de la vie fait sortir
éternellement tous les êtres » éclaire-t-elle en retour le fétichisme de
la terre des physiocrates habiles à négocier dans la langue le statut d’un
commerce soustrait à l’impur ? Elle relie en tout cas d’un trait les deux
âges d’or de l’humanité, celui de ses origines et celui de son devenir, en promettant
la fin de la misère par retour aux voies de la création dans un monde où la
notion de travail même disparaît et a déjà commencé de disparaître.
Car lorsque Pierre Leroux voit dans les rues de Londres
un ouvrier qui a tracé à la craie ces mots sur sa pelle « ouvrier qui
demande du travail », il s’écrit : « Il n’y a pas un de
ces malheureux qui ne pût vivre en utilisant son propre fumier. »
C’est qu’il se refuse à admettre que « Dieu ait pu créer un être qui ne
fût point reproducteur de sa subsistance par l’effet utile de ses sécrétions
pour d’autres êtres. »
Et il faut compter sans doute parmi les pages les plus
admirables de la littérature de l’époque le récit que fait Pierre Leroux de son
errance dans les rues de Londres, après être tombé en arrêt devant ce
prolétaire demandant du travail, des réflexions qui la jalonnent, du monologue
qui ponctue le défilé de la misère à travers les quartiers où s’assemblent
toutes les races de toutes les colonies, jusqu’à ce moment où, se remémorant
les paroles de Dieu ordonnant au Prophète de se faire du pain avec des
excréments humains, il est pris du vertige où il vient à répéter l’expérience
de la Création, à vivre en acte la fabrication divine du limon.
« Je résolus donc, ce jour-là, de suivre le conseil de Dieu… Je fis, en mêlant ces substances, une poudre minéro-végétale. Je mêlai cette poudre avec mon urine et mes excréments et j’obtins de la terre. »
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