Ce petit tas de merde que j’amasse, là, devant ma
porte, il est à moi et nul ne pourra médire si ce tas est bien formé. Ce petit
tas, il sera ma chose, mais il sera aussi mon insigne, signe intangible de ce
qui me distingue ou me rapproche du voisin et pareillement signe visible de ce
qui le distingue de moi : ordonné, hâtif ou dégueulasse son tas à lui ne
sera jamais le mien, et à ce signe seul, je reconnaîtrai déjà s’il est, lui,
des miens ou pas, comme moi, ordonné, propre, négligent, dégueulasse ou
franchement pourri.
Certes, au seizième siècle, nous n’en sommes pas à ce
que chacun fasse pousser ses géraniums ou ses poireaux à la devanture de son
pavillon, mais si quelque chose de la promiscuité reflue dans un discours,
juridique d’abord, déjà une idéologie du propre ne va pas se séparer de leur
propriété. Tu t’occupes de mes affaires, je m’occupe des miennes, dit, en
substance, l’individu à son voisin ; ce qui se passe chez moi, en famille,
mon linge sale, et le reste, ça ne te regarde pas, car ce petit tas, là, devant
ma porte, ça me regarde.
Dominique Laporte : Histoire de la merde (prologue)
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