Source : Le Trompeur trompé, représentations littéraires des charlatans à la Renaissance, par Matteo Leta, avant-propos par Jean Céard, préface par Denis Crouzet, introduction par Franck Lestringant, éditions des Belles Lettres, collection Essais.
Dans Le Magicien de Lublin (1960), Singer
présente les aventures d’un personnage, Yasha Mazur, qui, avant une douloureuse
conversion religieuse, est un jongleur et vagabond. Le roman s’ouvre avec une
description de ses capacités prestidigitatrices formidables qui font que
« certains prétendaient qu’il pratiquait la magie noire et qu’il possédait
une coiffe qui le rendait invisible et lui permettait de passer à travers les
fissures d’un mur ; d’autres disaient qu’il était simplement un maître
illusionniste. » Si son art, comme pour les charlatans renaissants, le
fait osciller entre l’illusionnisme et la sorcellerie, son identité semble se
rattacher à l’image perturbante de l’étudiant raté et de l’hérétique.
« En effet, Yasha avait même étudié le Talmud dans
son enfance. A la mort de son père, on lui avait conseillé de poursuivre ses
études mais il avait préféré rejoindre un cirque ambulant. Il se sentait à
moitié juif, à moitié gentil, ni juif ni gentil. Il s’était formé sa propre
religion. » Yasha possède, en quelque sorte, des capacités surprenantes
car il s’aperçoit, après avoir échoué à cambrioler la maison d’un vieillard
riche, de l’infortune qui le frappe et des embûches du démon qui va ruiner sa
carrière de jongleur.
« Au plus profond de lui-même, il eut l’intuition
que la malchance ne se limiterait pas à cette seule nuit. En lui, cet
adversaire était resté aux aguets, comme en embuscade ; Yasha l’avait
jusqu’à présent tenu en respect, par la force ou par la ruse, par des
sortilèges et des incantations, telles que chacun doit en apprendre pour son
propre usage ; mais, à présent, il avait pris le dessus. Yasha sentit sa
présence. Dybbuk, démon, il était l’ennemi qui lui ferait perdre contenance
pendant ses tours de passe-passe, le ferait tomber de la corde raide, le
rendrait impotent. »
Ainsi, le magicien s’aperçoit lui-même de l’existence
de forces surnaturelles, qu’il s’agit de contrôler par ruse ou par sortilège.
Yaha utilise indifféremment des tromperies pour étonner ses spectateurs, mais
aussi pour dépister le démon : l’entrelacement de ces deux dimensions
constitue une clé importante pour comprendre le personnage, et d’ailleurs même
son épouse s’était, au tout début de l’ouvrage, convaincue qu’il détenait des
« pouvoirs occultes. »
Le magicien décrit par Singer reprend ici toute une
série de caractéristiques qui peuvent l’assimiler aux charlatans dont il est
ici question. D’ailleurs, même ce bouleversement entre les dimensions de la
ruse et de l’enchantement semble, en quelque sorte, une caractéristique de
l’imaginaire existant aussi à la Renaissance. Au reste, Singer consacre au
charlatan un feuilleton entier, publié dans le journal yiddish Forverts
en 1967-1968 : Der Sharlatan. Dans ce texte, principalement édité
et traduit en France ou en Italie, le personnage principal se nomme Hertz
Minsker, un exilé juif qui débarque aux États-Unis depuis la Pologne.
Il s’agit d’un homme lettré, capable d’entretenir des relations épistolaires avec Sigmund Freud, mais il est aussi un séducteur impitoyable, capable de tromper son meilleur ami et mécène. Hertz est un philosophe assermenté, mais il peut à peine survivre grâce à des conférences et en exploitant les croyances, ou plutôt la naïveté, des autres, telles que sa propriétaire, une dentiste passionnée de théosophie et de spiritisme. Dans cet ouvrage aussi les catégories de surnaturel et de ruse se mêlent, comme nous le montre le personnage de la dentiste. Celle-ci organise des rendez-vous trompeurs entre Hertz et un esprit, qui n’est qu’une actrice, tout en gardant sa foi dans la possibilité d’avoir une relation secrète avec les forces occultes.
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