Source : Le Symbolisme des Jeux par Jean-Marie Lhôte, éditions Berg International
François Caradec, dans son article sur les « jeux
idiots » dans le Dictionnaire des jeux et du chapitre consacré aux
« Exploits aberrants et paris stupides » dans l’Encyclopédie de la
Pléiade, conclut : « Il me semble que les jeux aberrants ont
devant eux un bel avenir. Ce n’est pas faire preuve de pessimisme que de
supposer que, dans une civilisation de plus en plus enfermée dans les interdits
de toutes sortes, l’activité ludique, activité nécessaire et vitale, penchera
de plus en plus vers la clandestinité, le délit, l’aberration. L’automobile est
la première à jouer un grand rôle dans cette libération, et le nombre quotidien
de tués ira naturellement en augmentant. »
Les jeux aberrants sont généralement interdits par la
loi, l’usage ou ce que l’on nomme le « bon sens. » Franchir une ligne
jaune au sommet d’une côte en espérant qu’un véhicule ne viendra pas en sens
inverse ; jouer à la roulette russe, c’est-à-dire s’appliquer sur la tempe
un revolver à barillet contenant une balle dont on ignore si elle est ou non en
face du canon de l’arme, et appuyer sur la gâchette ; escalader la tour
Eiffel ; jouer à qui avalera la plus grande quantité de spaghetti ou de
bière ; jouer au jeu de la truie que nous avons rencontré, dans lequel des
aveugles, essayant de tuer un porc sur un ring, s’assomment mutuellement ;
jouer à l’antique jeu du pendu, dans lequel un homme debout sur un support
instable, la tête passée dans un nœud culant, une épée à la main, faisait
brusquement basculer son support et devait pour ne pas être étranglé réussir à
couper dans l’instant la corde de sa pendaison… tous ces jeux sont aberrants,
dangereux, stupides.
Il y en a bien d’autres, plus subtils, à commencer par
le fameux « qui perd gagne », plus incohérents, comme des pièges
tendus à soi-même : je décide par exemple de commettre tel acte si je
rencontre une femme brune ; plus absurde : tel méticuleux décide
d’écrire le « notre Père » sur un petit dé, ou de battre un record du
même genre. François Caradec se demande aussi si les jeux surréalistes, dans le
domaine des jeux d’esprit, ne peuvent pas être mis dans le même sac.
En tout cas, on a vu fleurir depuis la dernière guerre un certain nombre d’exercices à mi-chemin entre l’art et le jeu, l’acte sérieux et le canular. Ils consistent, par exemple, à empaqueter le musée de Berne dans d’immenses bâches, à lacérer des œuvres pour les exposer dans de petits sacs plastique, à exposer des toiles non peintes, etc. Tout cela procède du besoin de faire douter des règles admises, de montrer l’envers du miroir, de démontrer les mécanismes de notre aimable confort.
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