Source : Et si les animaux écrivaient ? par Vinciane Despret, éditions Bayard, collection Les Petites conférences.
J’ai affirmé que les mammifères n’ont pas les moyens
d’être réellement présents partout, comme les oiseaux peuvent le faire, mais il
ne s’agit pas seulement de moyens : les mammifères n’ont en fait pas trop
envie d’être vus ni repérés comme les oiseaux. Ils ont fait le choix de rester
cachés et le territoire va les aider à rester cachés. L’écrivain Jean-Christophe
Bailly proposait d’ailleurs une définition du territoire qui est tellement
vraie pour les mammifères : c’est un endroit où l’on peut se cacher, ou,
plus précisément, c’est un endroit où on sait se cacher.
Alors, pas question de spectacles, pas question
d’arpentage, pas question de chants tonitruants. Comment peuvent-ils dire
« je suis là » en restant cachés ? En laissant des traces, des
odeurs qui sont leurs propres odeurs, avec des sécrétions de glandes. C’est ce
que les mammifères ont inventé. Parfois, ils cassent des branchages, déplacent
des choses, de la terre, ou bien ils grattent, marquent avec leurs griffes,
leurs bois, bref, partout sur leur territoire, les mammifères disent :
« Ici, vit quelqu’un, j’appartiens à telle espèce, j’ai tel âge, je suis
ainsi… »
Il s’agit d’être là, à chaque endroit, sans avoir besoin vraiment d’y être, par délégation. Ils parlent à distance, en laissant des marques qui restent pour un temps. Au fond, n’est-ce pas cela l’écriture : parler à distance, dans un message qui reste pour un temps et que d’autres peuvent lire ? Et laisser quantité de messages écrits, afin qu’on puisse les lire, même de loin…
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