Ill. : Un livre recommandé par Neûre aguèce. Texte : Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, par Rafaël Mandressi, éditions du Seuil, collection L’Univers historique.
La pensée du corps comme résumé des forces, des formes,
et des éléments du cosmos, l’entremêlement entre médecine et astrologie, sont
toujours vivaces au premier tiers du dix-septième siècle, comme le montrent les
écrits de Harvey et de deux de ses compatriotes : Helkiah Crooke, qui
publie en 1615 à Londres une Mikrokosmographia, et Richard Fludd
(1574-1637), auteur en 1617 et en 1623 de deux ouvrages où l’analogie entre
microcosme et macrocosme est portée à l’extrême.
Ainsi, malgré le développement d’une anatomie qui porte
en soi le germe du mécanicisme, qui travaille dans le sens d’une fragmentation,
les anatomistes ne manquant pas de renvoyer à une autre anatomie, une anatomie
astrale, ancrée dans la tradition ancienne des connexions intimes entre l’homme
et le monde, inscrite dans une matrice de représentations où la nature est
travaillée et traversée par des « sympathies » et des
correspondances, entendue comme un lieu de réverbération d’un univers « où
partout, écrit Eugenio Garin, souffle l’esprit, où s’entrecroisent de toutes
parts des signes ayant une signification cachée. Un univers où les astres
regardent, écoutent, se font des signes entre eux et nous en font à nous-mêmes.
Un univers enfin qui est un dialogue immense, aux formes diverses et multiples,
tantôt murmuré, tantôt à voix haute, tantôt confidentiel et obscur, tantôt en
langage clair. »
C’est le monde du XVIe siècle, notamment celui d’une
anatomie qui croit être entrée finalement en pleine possession des moyens pour
mener à bien une véritable cosmographie du minor mundus, qui caresse
cette aventure encouragée par les promesses de son épistémologie sensorielle et
la capacité de découverte que cet empirisme lui a permis de retrouver. Ce XVIe
siècle cartographique, aux horizons ouverts au regard européen vers de
nouvelles terres fraîchement arpentées, un temps de voyages de découvertes et
d’exploration, de Nouveaux Mondes à connaître et à maîtriser, l’époque où,
écrit Catherine Bousquet-Bressolier, « apparaît vraiment l’idée de
représentation topographique. »
La notion d’homme microcosme facilite l’assimilation de l’entreprise anatomique de contrées méconnues. Elle est un pont plus que métaphorique jeté entre les modes anciens d’imbrication analogique de l’homme et du monde, et l’ambition de marcher vers un corps enfin découvert et cartographié.
Commentaires
Enregistrer un commentaire