Nombres

Source : Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, par Rafaël Mandressi, éditions du Seuil, collection L’Univers historique.

Si la croyance en la résurrection fait partie des éléments ayant pu constituer un frein à l’avènement d’une anatomie fondée sur le découpage du cadavre, on devrait toutefois se garder d’insister uniquement sur cette question. Cela conduirait à ne voir la mise en place de forces incoercibles entravant l’exploration de l’intérieur du corps humain que dans la montée du christianisme. « Les réticences attribuées aux chrétiens, dit Danielle Jacquart, y compris par certains auteurs du Moyen Âge, ont des racines antérieures à l’installation du pouvoir ecclésiastique. »

En effet, le christianisme reçoit en héritage, et fait siennes, au moins pendant quelques temps, les préventions et l’aversion païenne face au corps mort. Ceci est bien mis en lumière par Philippe Ariès : « Les anciens redoutaient le voisinage des morts, et les tenaient à l’écart. Les morts enterrés ou incinérés étaient impurs : trop proches, ils risquaient de souiller les vivants. Le séjour des uns devait être séparé du domaine des autres afin d’éviter tout contact, sauf les jours des sacrifices propitiatoires. » Les chrétiens, poursuit Ariès, ont au début suivi les usages de leur temps et partagé les opinions courantes à l’égard des morts.

Jean Chrysostome (347-407) éprouvait toujours au IVe siècle la même répugnance des anciens à l’égard des cadavres et « on trouve encore en 563 les traces de cet état d’esprit dans un canon du concile de Braga qui interdisait toute inhumation dans les basiliques des saints martyrs. » C’est toute l’Antiquité tardive, chrétienne ou non, qui est imprégnée de l’idée que la proximité des morts est porteuse d’impureté, une idée qui avait déjà obligé les anatomistes anciens, Rufus, Soranus, Galien, à se contenter de la dissection d’animaux.

Une idée que l’on trouve aussi, par ailleurs, dans l’Ancien Testament : « Celui qui touchera un mort, un corps humain quelconque sera impur pendant sept jours » (Nombres 19, 1) Et encore : « Quiconque touchera, dans les champs, un homme tué par l’épée, ou un mort ou des ossements humains, ou un sépulcre, sera impur pendant sept jours. » (Nombres 19, 16)

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