Source : Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, par Rafaël Mandressi, éditions du Seuil, collection L’Univers historique.
« Venez et voyez » était la réponse de Ruysch
à ceux qui se montraient incrédules au sujet de ses méthodes de préparation, ou
qui les considéraient indignes de la dignité de professeur. Mais « venez
et voyez » était aussi une invitation adressée à un public beaucoup plus
large que celui de ses détracteurs. D’où le souci de Ruysch de joindre
l’agrément et d’égayer le spectacle. Sa collection était ouverte aux visiteurs
et c’était pour les étrangers en particulier « une des plus grandes
merveilles des Pays-Bas. »
« Or, précise Fontenelle, les savants seuls
l’admiraient dignement, tout le reste voulait seulement se vanter de l’avoir
vu. Les Généraux d’Armée, les Ambassadeurs, les Princes, les Electeurs, les
Rois y venaient comme les autres, et ces grands titres prouvent du moins la
grande célébrité. » Le Tsar Pierre Ier de Russie (1672-1725) visita le
cabinet lors de son premier voyage en Hollande en 1698 : « il fut
frappé, transporté à cette vue », au point qu’il « baisa avec
tendresse le corps d’un petit enfant, encore aimable et qui semblait lui
sourire. Il ne pouvait sortir de ce lieu, ni se lasser d’y recevoir des
instructions et il dînait à la table très frugale de son Maître, pour passer
les journées entières avec lui. »
Pierre le Grand se rendit une seconde fois chez Ruysch
à Amsterdam, en 1717, et acheta le cabinet qui l’avait tant charmé lors de son
précédent séjour. Il le fit transporter en Russie, à Saint-Pétersbourg. Ce fut,
dit Fontenelle, « un présent des plus utiles qu’il pût faire à la Moscovie, qui
le trouvait tout d’un coup et sans peine, en possession de ce qui avait coûté
tant de travaux à un des plus habiles hommes des Nations savantes. »
Ruysch, quoique âgé de 79 ans, recommença alors « courageusement un
Cabinet nouveau. Sa santé, toujours ferme le lui permettait, le goût et
l’habitude l’y obligeaient. Ce second travail devait même lui être plus facile,
et plus agréable que le premier. Il ne perdait plus de temps en tâtonnements,
plus de temps en épreuves : il était sûr de ses moyens et du succès. »
Contemporain de Ruysch, l’Italien Lorenzo Bellini
décrit son propre cabinet aux membres de l’Academia della Crusca. Il
s’agit d’un ardent éloge de ce qu’il qualifie comme une « immense
ménagerie » : de tout ce qu’elle renferme, ajoute Bellini, « il
n’est rien de vivant, tout est mort, morts sont ces corps humains, morts ces
animaux terrestres, morts ces poissons, morts ces oiseaux.
Tous ces corps sont en chair véritable, comme s’ils étaient vivants aussi bien quant aux couleurs, à la douceur, à la maniabilité qu’à la résistance » et non seulement à la surface : « ils sont faits de chair tendre, colorée, malléable, en tout point de leur intérieur, dans les bras, dans le cou, dans chaque viscère de la tête, de la poitrine et du cœur, dans la plus infime fibre qui compose leur profondeur, leur grosseur. » Reproduction parfaite, et durable, car « les corps réduits en cet état durent, combien diriez-vous ? un mois, un ans ? Ils durent des siècles, ils durent toujours. »
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