Pris sur la boutique Doorbraak. Après 70 d’attente, une nouvelle traduction de Mein Kampf par Dirk Rochtus, traduction du standaardnederlands.
Contrairement à une
idée reçue, après 1945, Mein Kampf ne fut pas interdit en Allemagne. En
réalité, le gouvernement de Bavière détenait les droits d’auteur et ne voulait
tout simplement pas donner une nouvelle chance à un des livres les plus
« dangereux » du vingtième siècle.
Le 1er janvier
2016, soit 71 ans après le tragique décès de son auteur, MK était tombé dans le
domaine public, ce qui signifiait que n’importe qui pouvait donc le rééditer.
De crainte d’une récupération par l’extrême droite, le Centre de Recherche
d’Histoire contemporaine, Institut für Zeitgeschichte (IfZ) de Munich,
décida de présenter une « édition critique. » MK reparut donc en deux
volumes, pour un total de 1966 pages bien serrées, assorties de nombreux
commentaires et d’un appareil de notes de 3700 références.
Dans, les 15
premiers chapitres contenus dans le premier volume, Hitler retrace sa formation
politique, la création du NSDAP avec toutes les considérations idéologiques
prévisibles. Les douze autres chapitres contenus dans le deuxième volume
abordent l’État, les syndicats, le fédéralisme, la politique étrangère. Pas une
page du texte original n’échappe à une note explicative au moins:
neutraliser totalement la pensée d’Hitler pour éviter de constituer un miroir
du Prince.
« Mijn strijd », la
traduction néerlandaise, s’écarte de ce principe pour des raisons pratiques. À
quoi bon une traduction intégrale de la version allemande pour un marché aussi
réduit que celui de la Hollande ? Au lieu d’un encombrant appareil de
notes, l’historien spécialiste de l’Allemagne Willem Melching se charge de la
tâche délicate de rédiger une introduction générale, puis de commencer chacun
des 27 chapitres par une analyse et une mise en contexte. L’ensemble pourrait à
son tour constituer une monographie séparée sur la vie et la doctrine d’Adolf
Hitler.
Melching examine
l’autobiographie du Führer avec acribie. Ce n’est un secret pour personne,
l’auteur prenait des libertés avec la réalité historique, se décrivant
volontiers comme plus courageux qu’il ne l’était, voire comme carrément génial.
Melching compare cet essai à une sorte d’hagiographie et d’autoportrait d’un
homme qui se croyait prédestiné à sauver l’Allemagne et le monde aryen.
Pourtant, Hitler se montre peu prolixe sur ses années d’après-guerre à Munich.
Dernièrement,
l’historien écossais, Thomas Weber, de l’Université d’Aberdeen a enquêté sur ce
trou noir biographique. Nous ne connaîtrons sans doute jamais exactement la
vérité, mais selon Weber, à l’époque du gouvernement socialiste de Kurt Eisner,
Hitler aurait éprouvé des sympathies socialistes. Il ne serait devenu un
nationaliste virulent qu’après la signature du Traité de Versailles en juin
1919.
De son côté
Melching reprend la thèse classique des historiens pour qui l’antisémitisme
pathologique d’Hitler ne remonterait pas aux années viennoises, soit avant la
Première Guerre mondiale, comme Hitler le prétendait volontiers, mais bien aux
années munichoises, soit juste après sa démobilisation. Selon Melching,
lorsqu’il était à Vienne, Hitler s’était déjà proclamé antisémite et admirateur
de Wagner dont les opéras exprimaient un rejet de l’art juif.
Hitler n’avait rien
d’un penseur original et recyclait des idées déjà dépassées depuis longtemps à
l’époque comme cette idée selon laquelle il existerait un lien entre les
besoins en alimentation d’un peuple et l’étendue de son État. Sa volonté
autarcique de conquête et d’extension vers l’Est, afin de se procurer un
« Lebensraum », espace vital, lui était peut-être venue au
cours de la famine de la Première Guerre mondiale, une conséquence du blocus
des Alliés. Selon lui, la chute du Deuxième Reich fut provoquée par la
méconnaissance du fait racial, de son importance dans le développement
historique des peuples.
Melching révèle le
cœur de la doctrine hitlérienne : « La lutte des races comme moteur
de l’Histoire et facteur central du politique. » D’où la passion d’Hitler
pour la géopolitique et la domination du monde par une alliance entre la
puissance continentale tellurique allemande et la thalassocratie britannique,
afin de déjouer les plans de la Russie. Naîtrait alors un monde où l’Aryen
règnerait, à la condition d’avoir préalablement « liquidé » les
Juifs : la force occulte à l’œuvre derrière le capitalisme et le marxisme.
Melching démontre également que les lois raciales américaines de régulation de
l’immigration, « pour rester maître chez soi », exercèrent une forte
influence sur la politique d’Hitler en général.
[note :
d’après l’épistémologue français André Pichot, la théorie de la guerre raciale
aurait été inspirée à Hitler par le sociologue austro-juif Ludwig Gumplowicz.]
Mein Kampf a la réputation d’un livre illisible.
Néanmoins, Melching admet que le chapitre 9 du premier tome sur « Le parti
socialiste allemand des travailleurs » est plutôt bien écrit et d’une
concision agréable. Cela s’explique par la faconde d’Hitler qui était un tribun
incontestablement doué et qui avait donc eu l’occasion de répéter en public les
arguments qu’il dicterait ensuite depuis sa geôle munichoise. Le chapitre 7 du
deuxième tome, « Combattre le front rouge » résonne des accents de
l’orateur enflammé qui se vante de ses exploits de guerre. Le traducteur Mario
Molengraaf a réalisé un travail de bénédictin et les éditions Prometheus
rendent un immense service à la démocratie en diffusant ce travail.
Cette nouvelle traduction donne un aperçu mental pénétrant de certains individus qui se sentent appelés à sauver le monde, ainsi que sur la manière dont ils comptent s’y prendre.
Commentaires
Enregistrer un commentaire