Geste de partage

Source : Le regard de l’anatomiste, dissections et invention du corps en Occident, par Rafaël Mandressi, éditions du Seuil, collection L’Univers historique.

L’argument des Empiristes, reproduite par Celse, s’appuie sur une critique épistémologique de la démarche de ceux qu’ils appellent « Dogmatiques » parmi lesquels ils rangent Hérophile et Erasistrate : la construction d’un système médical rationnel qui tirerait son étiologie de la recherche de « causes cachées » est impossible, du fait des altérations produites par la mort dans l’organisme. Il s’agit bien d’une objection de fond : la connaissance de l’homme vivant ne saurait s’édifier sur celle de l’homme mort, voire mourant, comme le précise Celse, pour ce qui est des vivisections.

Or, peu de temps avant la mort d’Hérophile, les Empiriques devinrent la plus influente « école » de pensée médicale à Alexandrie. Au moins pour une grande part, l’abandon des dissections après Hérophile et Erasistrate aurait donc correspondu au triomphe de l’idée des Empiriques, reprise par la suite par une troisième secte, celle des Méthodiques, selon laquelle les connaissances anatomiques sont vaines, partant, non indispensables.

On n’entend pas évidemment attribuer à cette idée ni à l’influence des doctrines des Empiriques ou des Méthodiques une vigueur soutenue et décisive jusqu’au Moyen Âge tardif. Il semble improbable que quinze siècles d’absence de dissections aient été la conséquence de l’issue de l’épisode alexandrin. Celle-ci montre, néanmoins, que pendant toute cette période on a pu ne pas ressentir le besoin de recourir aux dissections. Qu’elles peuvent ne pas avoir été pensées. Ou bien, plus radicalement encore, qu’elles n’ont peut-être pas été pensables.

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