« Die Revolution hält keiner auf »

 

Source : Conduire la guerre, entretiens sur l’art opératif, Benoist Bihan et Jean Lopez, éditions Perrin, un livre important.

Toukhatchevski est nommé à la tête de l’important district militaire de Leningrad où il s’installe à la mi-mai 1928. Durant son séjour sur les rives de la Neva, il pose les bases théoriques et pratiques de l’arme aéroportée soviétique. Il fait procéder aux premiers essais de largage de petits effectifs, dessine les contours d’une division aérotransportée avec les matériels adéquats. Réellement fasciné par la technologie, il s’intéresse au radar, imagine des systèmes radioguidés, des fusées, des avions stratosphériques, une multitude d’engins chenillés mécanisant complètement le champ de bataille.

Toukhatchevski est atteint d’une maladie très bolchevique, la gigantomanie, mais à un point tel qu’il inquiète Staline. Le lancement du premier plan quinquennal, en octobre 1928, lui fait entrevoir la possibilité d’une Armée rouge, massivement mécanisée, apte à l’offensive brusquée. Sans doute intoxiqué par les chiffres de production, tous faux, donnés par la propagande, il adresse en janvier 1930 un mémo à Vorochilov, dans lequel il projette des quantités d’armements colossales, hors de proportion avec les moyens soviétiques.

Toukhatchevski est plus stalinien que Staline, et pas seulement pour cette gigantomachie. Sa façon de politiser à outrance tout affrontement, avec la pire mauvaise foi, est aussi celle du Géorgien. Sa plume et son verbe acérés s’en prennent à Sviétchine, son ancien adjoint à l’académie Frounzé. Toukhatchevski le vilipende comme un penseur réactionnaire, pessimiste et opportuniste, ce qui, à l’époque, est extrêmement dangereux. Le débat stratégique dans l’U.R.S.S. des années 1920 et 1930 est bien plus violent qu’ailleurs, à la fois par la radicalité des thèses, mais aussi par les conséquences personnelles qu’il entraîne.

L’arrestation de Sviétchine en 1931 suit ainsi de près une conférence tenue par Toukhatchevski spécifiquement contre « le Professeur », accusé d’être un penseur bourgeois. Le texte de cette conférence réquisitoire sera tiré à 1000 exemplaires distribués dans les hautes sphères de l’armée et du Parti. Dans La Mort de Danton, le dramaturge allemand Georg Büchner parle de « la Révolution qui, comme Saturne, dévore ses propres enfants. » Celle de 1917 que poursuit Staline est de ce point de vue bien pire que la Révolution française. L’énormité des enjeux et la violence des débats vont de pair. 

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