Foule frontale

 

Source : Conduire la guerre, entretiens sur l’art opératif, Benoist Bihan et Jean Lopez, éditions Perrin, un livre important.

Il y a une tendance presque économétrique dans la manière dont les Soviétiques abordent les rapports des forces, qu’ils appellent « corrélations de forces. » Il faut peut-être y voir l’influence sur leur pensée militaire des traits les plus déterministes du « matérialisme dialectique » du marxisme, et plus généralement la prégnance, souvent délétère au XXe siècle, des méthodes quantitatives, influence dont nous ne sommes d’ailleurs pas sortis.

Nous sommes bien loin de l’appel clausewitzien au « génie » ! Un des credo de l’Armée rouge puis de l’Armée soviétique sera que, toutes choses égales, par ailleurs, j’use à dessein de cette expression chère aux économistes, un potentiel de combat l’emportera toujours. Près de quatre ans de combat contre la Wehrmacht ne suffiront pas à faire vaciller cette conviction. Il faut dire qu’elle convient assez bien à une armée qui a hérité de l’armée des tsars l’absence d’un véritable corps de sous-officiers et dont les officiers subalternes, contraints en conséquence de gérer le « contrôle des troupes » des échelons élémentaires, ne peuvent pas en même temps agir réellement en tacticiens.

La « corrélation de forces » doit permettre de s’émanciper de la faillibilité individuelle, de véritablement mécaniser la tactique en faisant correspondre à une situation donnée un optimum tactique qu’il suffirait d’appliquer pour permettre à cette corrélation de produire le résultat attendu. Elle vise à obtenir dans le déploiement de la stratégie une prévisibilité de plan quinquennal… funeste illusion.

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