« Dans le rêve de la nuit, je vois les chiens
gris qui rampent pour venir dévorer le rêve. » (Lawrence) Ce sommeil
sans rêve, où l’on ne dort pas, est insomnie, car seule l’insomnie est adéquate
à la nuit, et peut la remplir et la peupler. Si bien qu’on retrouve le rêve,
non plus comme un rêve de sommeil ou un rêve éveillé, mais comme rêve
d’insomnie. Le nouveau rêve est devenu gardien de l’insomnie. Comme chez Kafka,
ce n’est plus un rêve qui se fait dans le sommeil, mais un rêve qui se fait à
côté de l’insomnie : « J’envoie à la campagne mon rêve habillé… Moi,
pendant ce temps, je suis couché dans mon lit sous une couverture brune. »
L’insomniaque peut rester immobile, tandis que le rêve a pris sur soi le
mouvement réel. Ce sommeil sans rêve où pourtant l’on ne dort pas, cette
insomnie pourtant qui emporte le rêve aussi loin qu’elle s’étend, tel est
l’état d’ivresse dionysiaque, sa manière d’échapper au jugement.
Gilles Deleuze : Critique et clinique
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