Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.
La maladie, le malheur ou la souffrance sont soufferts
comme impossibles. C’est ce « comme » qui fait toute l’altérité de
l’autre nuit, puisqu’il exclut qu’elle puisse être « soutenue » au
sens où l’exigeait Hegel. Ne se déployant que sous la modalité de l’impossible,
elle est la nuit qu’on ne peut pas vivre, celle dans laquelle on est plongé
sans pouvoir la vivre. « La première nuit est accueillante… On peut dire
d’elle : dans la nuit, comme si elle était une intimité. On entre
dans la nuit, on s’y repose par le sommeil et par la mort. Mais l’autre
nuit n’accueille pas, ne s’ouvre pas. En elle, on est toujours dehors. »
La nuit prendra fin, pourtant, et la perspective de
cette fin devrait refluer sur elle pour la relativiser, la rendre
« vivable » c’est-à-dire la restituer comme moment critique d’un
processus qui reste, malgré tout, celui de la possibilité. Mais c’est ne pas
prendre en compte le temps spécifique du souffrir. Opposer à la souffrance
l’avenir où elle disparaîtra, c’est ignorer ou méconnaître, qu’elle se déploie
dans une région « que ne régit pas le temps de la possibilité », une
région où « le temps est comme à l’arrêt, confondu avec son intervalle. »
Blanchot a admirablement rendu cette destitution
radicale du temps commun qui advient dans l’expérience de la nuit : au
déploiement habituellement associé à la temporalité se substitue la contraction
de ses trois dimensions en un abîme, celui d’un « présent sans fin et
cependant impossible. » De même que la souffrance n’est elle-même que par
l’excès qui la fait échapper à la possibilité, de même elle ne se déploie pas
dans le temps, mais nous ouvre au contraire à l’expérience radicalement autre
d’un « temps en défaut. » Time is out of joint…
Parler de l’autre nuit, c’est dire que ce qui se
jouait, dans l’instant, sous la figure d’une altérité irréductible, doit être
sauvegardé par-delà l’instant : préservé dans sa pure altérité, maintenu
dans sa puissance de révélation. Alors, se fait jour, à partir de ce seul point
maintenu, une dimension d’existence habituellement recouverte ; cette
dimension impossible, qui a proprement parler ne peut être, et qui insiste
pourtant comme l’autre versant de toute expérience.
C’est à cette essentielle révélation que la sagesse hégélienne, en dernière instance, n’aura pas rendu justice. Sans doute parce qu’elle avait épousé le temps, et les recouvrements qu’il accomplit, au lieu de rester fidèle à ce qui se donne, hors présence, dans les interstices du temps.
Commentaires
Enregistrer un commentaire