« Le nihilisme est apparu chez nous parce que nous sommes tous nihilistes »

 

Ill. : Recommandé par Neûre aguèce. Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.

Tel est le lieu occupé par Blanchot. La transgression conduit à deux conséquences, dont il importe de mesurer l’articulation. En premier lieu, Blanchot voulait accueillir la violence de la nuit, et il ne le peut pas ; mais, dans la mesure où il persiste à la dire, il est contraint de la produire dans l’ordre qui est le sien, et qui est celui du discours ; contraint, en d’autres termes, de défaire activement toutes les formes du jour, pour les reconduire à la nuit. Le neutre se dévoile ainsi comme le résultat d’un acte de neutralisation, qui ne consiste nullement à veiller sur le sens absent, ce qui est principiellement impossible, mais à poser la négation-du-sens. En tant que tel, il doit être renvoyé à son nom : nihilisme.

En second lieu, travaillant à l’accomplissement du rien, tout en affirmant n’en être que le découvrement, la neutralisation est l’arme d’un nihilisme masqué. Elle occulte le fait qu’elle nie le sens dans l’acte même où elle voudrait accueillir sa pure éclipse. Le neutre est le nom de cette dissimulation. Le sens absent, pour autant qu’on veuille le soutenir par la pensée, est donc une formation de sens parmi d’autres, dont la spécificité est de devoir se méconnaître ou se récuser elle-même. Repérer ce mécanisme ne revient nullement à « refouler » le neutre, comme le voudrait Blanchot. C’est simplement le situer, en mesurer la genèse, le reconnaître pour ce qu’il est : le résultat d’un certain geste, d’exclusion et de méconnaissance.

En conclusion, il est vrai que nous sommes parfois confrontés à la sauvagerie du dehors, exposés au « supplice » pour parler comme Bataille, mais, pour que la pensée puisse veiller sur cette déchirure du sens, pour qu’elle se fasse témoin du neutre, il faudrait qu’elle puisse s’abolir en une impossible passivité. On ne peut donc, relativement au supplice que se taire, c’est-à-dire à renoncer à faire œuvre. Si l’on transgresse cette loi, on atteint la pensée à la plus exténuante des activités : l’activité neutralisante, qui est proprement sans fin puisqu’elle doit non seulement tout nier, mais se nier elle-même. On se condamne alors à n’être plus le gardien du neutre, mais l’artisan du désastre.

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