Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.
Qu’est-ce donc que l’il y a ? Il partage
tous les traits de la nuit de Blanchot, nous expose, comme elle, comme elle le
faisait déjà, à reconnaître le règne du neutre. On s’en convaincra aisément en
considérant les principaux caractères accordés à l’il y a dans l’essai de 1947.
1. Sa métaphore est la nuit, pure présence de
l’absence : « Dans la nuit, nous n’avons affaire à rien, mais cette
universelle absence est à son tour une présence, absolument inévitable.
L’espace nocturne est plein, mais plein de néant du tout. »
2. Il n’est d’expérience de l’il y a que comme
expulsion du monde entendu comme horizon. Lorsque celui-ci se brise, c’est tout
le dispositif donation/réception qu’il entraîne avec lui, au profit de
l’invasion obscure, d’un dehors, où « l’extérieur demeure sans corrélation
avec un intérieur. » Espace improbable auquel on ne peut accéder que par une
fiction ? Assurément. Il arrive pourtant que l’on soit confronté à des
« nuits en plein jour. » En ces situations limites, les choses sont
arrachées à la perspective du monde, laissant apparaître « la densité du
vide lui-même » qui, ainsi, à proprement parler, se révèle.
3. Toute distinction de l’intérieur et de l’extérieur
se trouvant abolie, l’il y a n’est pas seulement diapason des objets,
mais extinction du sujet. Le seul vécu paradoxal que suscite son
« frôlement » est celui de l’horreur, entendue comme réduction à
l’impersonnalité. Il ne renvoie donc à la conscience que dans un mécanisme
d’après-coup, où il se trouve déjà trahi.
4. Comment Levinas, phénoménologue de formation,
peut-il affirmer une telle abolition du sujet ? Par le recours, déjà rencontré
chez Blanchot, à la passivité. Ce qui, chez l’un, était
« fascination » se dit plutôt, chez l’autre, en termes
« d’envoûtement » ; mais tout deux trouvent dans la double
expérience de la veille et de l’insomnie leur commune métaphore, accordée à la
métaphore initiale de la nuit. La veille, et son exacerbation comme insomnie,
est exposition passive à la nuit, et ainsi participation, avant toute
conscience, à l’événement impersonnel de l’il y a.
5. Celui-ci n’a donc aucun caractère révélant, littéralement
« il ne donne rien » : c’est en quoi il est « foncièrement
distinct de l’expression allemande es gibt et de ses connotations
d’abondance et de générosité. »
Si l’angoisse de la mort, chez Heidegger, révélait le rien comme possibilité de l’étant, l’horreur de la nuit fait au contraire l’épreuve « du vide de tout être ou du vide du vide » auquel se réduit l’il y a « en son inhumaine neutralité. » C’est dire que la nuit, telle qu’elle est décrite par Levinas, n’ouvre nullement sur la promesse de l’être, mais sur la stérilité, « le caractère désertique, obsédant et horrible » du neutre.
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