Ill. : Recommandé par Neûre aguèce. Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.
Considérons d’abord la façon dont Blanchot présente la
hantise dans Le Pas au-delà. Elle n’est pas une visée, un rapport
intentionnel au sens de la phénoménologie, mais « l’obsession incertaine
qui toujours dépossède. » Pour comprendre cette définition, il faut
rappeler ce qui caractérise, de façon générale, la hantise.
On peut y distinguer plusieurs traits. En premier lieu,
ce qui hante n’est nul objet : radicalement disséminé, cela traverse, est
partout sans être nulle part, ne renvoie à aucun centre, qui pourrait
fonctionner comme pôle ou guide transcendantal. C’est en ce sens que Blanchot,
dans un autre texte, le dit « inaccessible » et
« insaisissable. »
En second lieu, ce qui hante entretient une étrange
relation avec ce qu’il hante : il ne se donne pas dans un vis-à-vis.
Lorsque je suis hantée par… je suis tout entier habité par ce qui, n’étant
nulle présence identifiable, m’occupe sans jamais me faire face.
En troisième lieu, et en conséquence, ce qui me hante
me « dépossède » effectivement de moi-même, dans l’exacte mesure où
je suis alors « possédé » au sens démoniaque du terme par un autre
que moi, qui est ici sans figure. Le lieu hanté n’est rien d’autre, dès lors,
que le passage même de l’objet, comme si celui-ci, par le fait qu’il n’a aucune
place déterminable, occupait désormais tout l’espace.
C’est sur ce dernier point qu’insiste surtout Blanchot
dans le second texte, L’Espace littéraire : « Ce qui hante est
l’inaccessible dont on ne peut se défaire… ce qu’on ne trouve pas, et qui, à
cause de cela, ne se laisse pas éviter. L’insaisissable est ce à quoi l’on
n’échappe pas. »
Ces trois traits, purement descriptifs, de la hantise
lui permettent de désigner une modalité inédite de manifestation de l’objet,
modalité où il n’est plus objet, en même temps que je peux être exposé à lui
sans être sujet. La ligne de partage est ici brouillée. Ce par quoi je suis
ainsi possédé se donne bien à moi, assurément, mais de façon déconcertante pour
nos habitudes de pensée : il hante l’absence que je suis, cette absence
que je suis devenu pour lui.
C’est ce dernier point qui doit être radicalisé. Bien
que la hantise permette d’approcher partiellement ce que Blanchot entend par
passivité, elle ne rompt pas, en effet, avec la passivité de
participation : elle ébranle la dualité, sans l’abolir. Cette abolition ne
sera pleinement accomplie que dans le mouvement de la fascination auquel
Blanchot consacre, notamment dans l’Espace littéraire, des analyses
insuffisamment remarquées par les philosophes.
Le point décisif est la distinction entre vision et
fascination. Voir suppose une distance et c’est précisément la séparation du vu
et du voyant qui permet cette rencontre qu’est la vision. La fascination, au
contraire, est « contact » et c’est parce que la séparation y est
abolie qu’elle ne peut plus être définie comme un rapport. Son règne où nulle
dualité n’est préservée est le règne d’un seul : l’Autre, un autre qui
n’en finit pas, puisqu’il n’est plus borné par rien.
On comprend par là que la fascination soit moins une vision qu’un aveuglement : non parce qu’elle ne verrait pas l’objet, mais parce que, ne voyant plus que lui, elle cesse d’être cette rencontre qu’est la vision authentique.
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