Éclaireur

 

Source : Okhrana, la police secrète des Tsars, 1883-1917, par Alexandre Sumpf, éditions du Cerf

La plus nette contribution de l’Okhrana à la police secrète soviétique réside peut-être dans ses innovations en matière de cryptologie ou de perlustration, ou interception de courrier. Selon Jonathan Daly, trois perlustrateurs, tsaristes et un maître analyste ont continué à travailler pour le nouveau gouvernement. Ivan Zybine, dirigeant le département de cryptologie de l’Okhrana, était considéré comme un génie du décryptage. Le commandant de la gendarmerie de Moscou, Zavarkine, le décrit comme « un fanatique, pour ne pas dire un maniaque, de son travail. Il résolvait les codes simples en un coup d’œil, mais les codes compliqués le mettaient dans un état de transe dont il ne sortait que lorsqu’il était capable de décrypter le document. »

Même Victor Serge ne peut dissimuler son admiration du personnage. « L’Okhrana chargeait alors un investigateur génial de déchiffrer leurs messages et l’on me certifie qu’il ne faillit jamais. Ce spécialiste hors ligne, nommé Zybine, s’était acquis une telle réputation d’infaillibilité qu’à la révolution de mars, on le garda. Il passa au service du nouveau gouvernement, qui l’employa, je crois, au contre-espionnage. » L’ancien anarchiste, fiché par Bertillon oublie de préciser que Zybine continuait à servir l’État. Sous sa direction, les Soviétiques mettent sur pied un département de perlustration et de cryptologie qui dépasse de loin la taille et les efforts de l’Okhrana en la matière.

Il n’en reste pas moins que l’âme et l’œil sûr de la section de cryptologie tournent autour d’un seul homme, obsédé par sa tâche, pour qui l’idéologie au pouvoir ne compte pas. « Zybine, poursuit un Serge impressionné par la capacité du fonctionnaire à créer sa propre archive, s’était constitué une collection d’armoires à casiers et à fichiers où l’on pouvait trouver instantanément le nom de toutes les villes de Russie où, par exemple, il y a une rue Saint-Alexandre : le nom de toutes les villes où il y a telles écoles ou telles usines ; les sobriquets et les surnoms de toutes les personnes suspectes habitant l’empire, etc. Il y avait des listes alphabétiques d’étudiants, de marins, d’officiers, etc.

Dans toute la correspondance surveillée ou saisie, les moindres allusions à une personne définie étaient repérées sur des fiches dont les numéros renvoyaient au texte même des lettres. Des armoires entières sont pleines de ces lettres. Trois lettres parfaitement banales, émanant de milliers de militants dispersés dans une région et faisant incidemment allusion à un quatrième pouvaient suffire à le livrer. »

Le recrutement de Zybine relève en partie de la démarche bolchevique de l’époque, l’exploitation des « spécialistes bourgeois » et de leurs compétences en attendant la relève par les « spécialistes rouges » en formation. Mais il  obéit aussi à une logique interne propre à l’administration, celle de la permanence des cadres exécutifs chargés du fonctionnement concret de l’institution et puis, dans le monde policier, il y a une solidarité de fait qui se maintient quel que soit le régime.

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