Source : Révolte contre le monde moderne, par Julius Evola, éditions de L’Âge d’Homme, collection Bibliothèque L’Âge d’Homme, relecture en cours.
Dans la démocratie grecque, il faut voir non pas tant
une victoire du peuple grec qu’une victoire de l’Asie mineure et, mieux, du
Sud, sur les ethnies helléniques originelles, dispersées dans leurs forces et
leurs hommes.
Ce phénomène politique est étroitement rattaché à des
apparitions similaires qui concernent plus directement le plan spirituel. Il
s’agit de la démocratisation que subissent les conceptions de l’immortalité et
du héros. Si l’on peut considérer les Mystères de Déméter à Eleusis,
sublimation de l’ancien mystère pélasgien, préhellénique, il est certain que ce
substrat archaïque réapparut pour dominer de nouveau lorsque les Mystère
d’Éleusis admirent quiconque au rite visant à provoquer « un destin non
égal après la mort », déposant ainsi un germe que le christianisme allait
ensuite faire fructifier pleinement.
Par là s’annonce et se répand en Grèce l’idée étrange
de l’immortalité comme quelque chose de naturel pour toute âme mortelle, tandis
que la notion de héros se démocratise au point que dans certaines régions, la
Béotie, par exemple, on finit par appeler « héros » des hommes dont le
seul mérite, pour reprendre une heureuse expression de Rhodes, consistait à être passés de vie à trépas.
Sous plusieurs aspects, le pythagorisme, en Grèce,
marqua un retour à l’état pélasgien. Malgré ses symboles astraux et solaires,
et même une trace d’origine hyperboréenne, la doctrine pythagoricienne
s’inspire essentiellement du thème démétrien et panthéiste. Au fond, on
retrouve dans sa vision du monde comme nombre et harmonie l’esprit lunaire de
la science sacerdotale chaldéenne ou maya ; le sombre pessimisme fataliste
du tellurisme se conserve dans l’idée pythagoricienne que la naissance
terrestre est une punition et une peine, ainsi que dans l’enseignement relatif
à la réincarnation.
On a déjà indiqué de quoi cet enseignement est
généralement le symptôme. L’âme qui s’incarne à plusieurs reprises n’est que
l’âme succombant à la loi chtonienne. Le pythagorisme et l’orphisme lui-même,
qui enseignent la réincarnation, montrent ainsi tout le relief qu’ils accordent
au principe telluriquement sujet à la renaissance, donc à la vérité propre à la
civilisation de la Mère.
La nostalgie de Pythagore pour des déesses de type
démétrien (après sa mort, sa demeure devint un sanctuaire de Déméter), la
dignité que les femmes possédaient dans les sectes pythagoriciennes, où elles
figuraient même comme initiatrices et où, chose significative, l’incinération
funéraire était interdite, tandis que le sang était pris en horreur, sont
autant de traits bien compréhensibles. Dans un cadre de ce genre, la sortie du
« cycle des renaissances » ne peut pas ne pas revêtir un caractère
suspect : dans l’orphisme, il est significatif que le séjour des
bienheureux ne soit pas situé au-dessus de la terre, comme dans le symbole
achéen des Champs-Élysées, mais sous terre, en compagnie des dieux « infernaux. »
On est à la région de « ceux-qui-sont », détachés, inaccessibles dans leur perfection et leur pureté comme les natures fixes du monde ouranien, de la région céleste où domine « la virilité incorporelle de la lumière » dans des essences stellaires multiples, sans mélanges, en soi distinctes. D’une manière générale, les mots de Pindare, « ne pas chercher à devenir un Dieu », annoncent le relâchement de la tension, du vieil élan héroïque de l’âme grecque vers la transcendance.
Commentaires
Enregistrer un commentaire