« Des livres construits sur ce qui reste quand il ne reste rien »

 

Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.

« La littérature a une double vocation : elle veut ce qui se dérobe à toute présence, elle veut ce qui résiste à toute parole. » Et comme elle ne peut renoncer ni à la présence, ni à la parole, cela signifie qu’elle veut, voudrait, amener à la clarté de la présence la nuit de l’absence, et porter l’indicible au langage. Volonté irréalisable ? Sans doute ; il reste que c’est le fait de vouloir cet impossible qui définit la littérature. Sans cette tension vers ce qui défie toute parole, le langage n’est pas encore littérature ; si elle aboutissait, il ne serait plus littérature, mais silence ou folie. Telle est la « contradiction qui est au cœur de l’existence poétique, son essence et sa loi. Il n’y aurait pas de poète si celui-ci n’avait à vivre son impossibilité même. »

L’autre du langage ne peut être rencontré que dans le langage. Cette affirmation s’éclaircit : on a reconnu dans l’espace littéraire le lieu où s’accomplit cette rencontre et dans le langage comme tel ce qui la rend possible, puisqu’il porte son autre en soi. Peut-on aller plus loin ? Blanchot s’y essaie, dans L’Espace littéraire, en éclairant le thème de l’impossibilité par la distinction de l’origine et du commencement. Si l’autre du langage est dans le langage, c’est au titre de son origine toujours dérobée, qui lui demeure inaccessible puisqu’il ne peut commencer à parler qu’à condition de recouvrir ce fond originel qu’il suppose.

La figure d’Orphée, telle qu’elle est sollicitée par Blanchot, est l’incarnation de ce conflit. L’œuvre est assurément « la décision pleine, la fermeté du commencement » mais elle ne peut l’être que par sa tension ruineuse vers « la profondeur vide et indécise de l’origine. » Voir Eurydice, « l’obscurité de l’origine », interdirait à tout jamais le chant d’Orphée, mais celui-ci n’est paradoxalement possible que s’il est porté par ce mouvement qui veut Eurydice qui « veut la voir quand elle est invisible. » L’Espace littéraire illustre ainsi, dans un lexique fortement marqué par l’influence de Heidegger, ce que La Part du feu avait déjà dégagé comme définition de la littérature : « Elle voudrait devenir révélation de ce que la révélation détruit. »

En conclusion, si le langage est bien ce pouvoir qui est le nôtre de nommer les choses, de les rendre dicibles, il existe pourtant un « espace » dans le langage, dont la seule vocation est d’accueillir l’indicible, de le préserver, de répondre de lui : c’est l’espace « littéraire », où prend naissance ce que Blanchot nomme écriture, poème ou œuvre.

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