Source : L’Être et le Neutre, à partir de Maurice Blanchot par Marlène Zarader, éditions Verdier, collection Philia.
De même que l’ennui n’est, à proprement parler, l’ennui
de personne, dans l’angoisse, « ce n’est au fond ni toi ni moi »
qu’un malaise gagne, mais « quelqu’un » (einem). La double
traduction de ce « quelqu’un » par un « on » (Corbin) comme
par un « nous » (Munier) est irrecevable, pour des raisons
principielles. L’angoisse ne peut affecter le « on » (celui-ci n’est
un « on » que pour s’en être détourné) et elle ne saurait non plus
affecter un « nous » (toute intersubjectivité étant ici suspendue, au
profit du solus ipse) Elle affecte « einem », quelqu’un
qui n’est déjà plus personne dans la mesure où il se voit, par elle, dépossédé
de lui-même.
Dépossession si radicale qu’elle touche, non pas seulement
le sujet, mais le langage lui-même et jusqu’à la possibilité d’une énonciation
de l’être. « L’angoisse nous ôte la parole… le rien s’avance, face lui se
tait tout dire qui est. » Ainsi expulsés des choses et de nous-mêmes,
radicalement dépaysés, que reste-t-il de notre lien antérieur au monde ?
Il n’a plus rien, et ce serait le troisième trait, si ce n’était, pour
Heidegger, le tout premier : d’un face à face ou d’un vis-à-vis :
l’angoisse n’est pas une appréhension, encore moins une représentation de « ce »
qui l’angoisse : mais cela, en elle, se fait pourtant manifeste, et c’est
en raison de cette manifestation sans pôle ou sans foyer central que le
mouvement dans lequel nous engage l’angoisse peut être décrit par Heidegger
comme un « repos fasciné » — eine gebannte Ruhe.
L’angoisse telle que la comprend Heidegger, constamment référée à la clarté qu’elle autorise, peut être dite « pure » ; la nuit de Blanchot est « intégralement impure », comme il l’écrit dans l’Espace littéraire. Cet écart entre les deux approches provient de ce que monde et Dasein chez Heidegger supposent l’être et, à leur manière, l’éclairent. Le « Dehors » et le « Il » de Blanchot ne se soutiennent que du Neutre. Sera dit Neutre ce qui précisément refuse l’être, mais, pour comprendre comment un même expérience peut être renvoyée dans un cas à l’être et dans l’autre au Neutre, il faut examiner avec attention le point précis à partir duquel l’être et le neutre se séparent et qui apparaît ainsi comme le fondement de leur divergence : ce point est rien.
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