Titre : Le Tchékiste par A. Zazoubrine. Source : Okhrana, la police secrète des Tsars, 1883-1917, par Alexandre Sumpf, éditions du Cerf
Dans son ouvrage de 1990, l’historien Geroge Leggett
souligne que « les futurs prisonniers politiques des bolcheviks, y
compris, et c’est l’ironie de l’histoire, les camarades marxistes mencheviks,
seraient en mesure de comparer les commodités des célèbres cellules de la
prison Gorokhovaïa, telles que dispensées respectivement par l’Okhrana tsariste
et la Tchéka communiste. »
Mais les liens entre Okhrana et Tcheka ne se limitent
pas à un bâtiment et à un ancien responsable. Selon Vassili Mitrokhine,
archiviste du KGB, l’auteur des premiers manuels de formation tchékistes,
Brèves instructions à l’intention de la Tchéka sur la manière de mener les
activités de renseignements, D.G. Evseev s’est largement inspiré des techniques
développées et perfectionnées par l’Okhrana. Cette imitation a perduré tout au
long du vingtième siècle. Juste avant la chute de l’U.R.S.S., Oleg Gordievski
et Oleg Kalouguine, deux anciens officiers du KGB, ont reconnu que jusque dans
les années 1980, l’organe de sécurité soviétique s’appuyait toujours sur les
guides de formation tsariste, en particulier ceux qui traitaient du renseignement
étranger et du contre-espionnage.
De fait, la section « instructions pour la
surveillance extérieure » du Manuel essentiel pour les agents du KGB est
presque identique à l’instruction numéro 298 de l’Okhrana sur le sujet, envoyée
par la Fontanka à l’Agence et conservée dans les archives de la Hoover Library.
En de nombreux endroits, le manuel du KGB reprend mot pour mot le texte de
l’Okhrana. Après tout, les techniques sont simples et ce n’est peut-être qu’une
commodité. Cependant, la Tchéka a également tiré parti de l’expérience de l’Okhrana
en matière de provocation.
Si l’on en croit l’un des lieutenant de Dzerjinski,
Martyn Latsis, le premier chef tchékiste a prohibé strictement l’emploi
d’agents provocateurs lors de la formation de la Tcheka. En dépit de cet ordre
clair, la police politique bolchevique développe rapidement cette technique
pour pénétrer les organisations contre-révolutionnaires. Dès 1918, Dzerjinski
envoie des agents pour infiltrer une organisation contre-révolutionnaire basée
à Pétrograd qui recrute des soldats pour le général Alexeï Kalédine, le chef
des forces blanches sur le territoire du Don.
Les tchékistes se font passer pour d’anciens officiers
tsaristes désireux de rejoindre le mouvement d’opposition et, en février 1919,
démasquent la conjuration, entraînant l’arrestation d’environ quatre mille
« contre-révolutionnaires. » Cette opération au succès tonitruant en
appelle d’autres. Au cours de la guerre civile, puis de la collectivisation
forcée de l’agriculture en 1929-1930, les rapports de la police secrète rouge
s’évertuent à repérer le moindre complot contre l’État, quitte à faire le lien
entre des affaires sans aucun rapport, à affirmer la résurgence de l’Union
panrusse des paysans de 1905 (un complot socialiste-révolutionnaire, donc) et à
forcer le trait sur l’ampleur et la dangerosité des résistances à la tutelle
communiste.
Comme avant 1917, les grandes affaires d’infiltration se jouent en Occident : Philby et les cinq de Cambridge ne sont que des exemples parmi d’autres. L’OGPU infiltre ses agents chez les Blancs, permettant l’enlèvement du général Koutepov en plein Paris (26 janvier 1930) puis du général Miller (22 septembre 1937, exécuté le 11 mai 1939 à Moscou) La police secrète de Staline fait aussi des ravages chez les trotskystes, ce qui conduit à la soupçonner du décès suspect de Léon Sedov dans une clinique russe de Paris (16 février 1938) et à l’accuser à raison de l’assassinat de Trotski lui-même le 21 août 1940.
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