Notre conception de l’ésotérisme s’éloigne de celle de
Guénon sur un point important : elle est triangulaire, alors que la
conception de Guénon nous paraît plutôt bipolaire ou bifaciale. Selon nous, le revelatum
ou donné révélé est ontologiquement un, ésotérisme et exotérisme n’étant que
des perspectives herméneutiques, non des choses ou des objets. Selon Guénon, au
contraire, il semble qu’ésotérisme et exotérisme constituent à eux seuls toute
la réalité du revelatum, comme le recto et le verso d’une même feuille
de papier. Cette opposition bifaciale tend à chosifier les deux termes,
d’autant qu’ils sont appliqués très souvent à des institutions.
À tant manier leur concepts, il arrive qu’on ne sache
plus très bien de quoi il est question réellement. En outre, on en vient ainsi
à perdre de vue la révélation elle-même, c’est-à-dire le don de Dieu, sa
création salvatrice, le centre vers lequel tout regarde, la forme sacrée qu’a
revêtue la manifestation du Verbe en qui réside le trésor de toute grâce. Il
faut conclure non seulement que l’ésotérisme n’est tel que par rapport à
l’exotérisme et réciproquement, mais encore qu’ils sont relatifs l’un et
l’autre à ce dont ils constituent la double herméneutique, dont ils dépendent
et qui les norme.
C’est ce revelatum qui leur donne sens parce que
c’est lui qui les oriente et qui les illumine. Sans doute arrive-t-il que
l’herméneutique métaphysique souffre d’avoir à se soumettre à la contingence
d’une forme révélée singulière. Mais cette souffrance, voire cette passion, est
salvatrice, elle seule permet à l’intelligence de faire l’apprentissage de
l’être en crucifiant les concepts sur la croix des réalités sacrées.
Jean Borella : Ésotérisme guénonien et mystère chrétien
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