Bloy est le « Caïn de l’innocence », une figure étrange qui conjoint inexplicablement les figures opposées. De la même manière, l’anecdote, sans aucun doute fantaisiste, de ce professeur de rhétorique capturé, pendant la guerre de 1870, par les dragons de Rheinhaben, qui leur jette inlassablement le mot de Cambronne à la face, avant de succomber, répercute le cri d’un pauvre homme, fou de « honte » et de « désespoir » qui résume l’abattement de la France. L’histoire de ce héros anonyme prend ainsi une « profondeur symbolique » : elle ne relate plus seulement, à travers un exemple, la débâcle d’une nation qui fut jadis la Fille aînée de l’Église, elle figure « la définitive débâcle de Dieu lui-même. »
Mais au plus profond de l’abattement se trouve peut-être
le salut, car dans le « Mot suprême » que le prisonnier a lancé aux
Allemands, par défi, le narrateur de Sueur de Sang entend un vocable
« indomptable » dont « l’anagramme est une promesse de
rédemption. » Ces jeux de langage sont, en vérité, assez périlleux. Ne
doit-on pas redouter d’associer ainsi les « réalités absolues » aux
choses ordurières ? Fait-on impunément communiquer sur un plan symbolique
sociologie et scatologie ou ne risque-t-on pas une irréparable contamination du
haut par le bas et une confusion qui donne le vertige. Tel est pourtant le pari
de Bloy, qui ne tremble pas devant les ponts qu’il tente de jeter sur l’abîme,
alors que son lecteur, suspendu au-dessus du gouffre, est livré aux
incertitudes d’une herméneutique piégée.
Pierre Glaudes : Léon Bloy, la littérature et la Bible
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