Source : Léon Bloy, la littérature et la Bible par Pierre Glaudes, éditions Les Belles Lettres, collection Essais, relecture en cours.
Le désespoir dont il est question dans le roman de Bloy
est donc une espérance suspendue et défigurée : c’est un monstre. Et même,
on l’a vu, « le roi des monstres », alliant inexplicablement les
contraires, confondant les extrêmes. Il est à l’image de Lucifer, l’ange de
lumière, retourné en ange des ténèbres. Il est la forme superlative de l’ironie
spirituelle propre aux véritables croyants des temps modernes.
Pourtant, Marchenoir, sur son lit de mort,
déclare : « Je ne suis plus le désespéré. » Parole capitale et
paradoxale qui donne un sens à sa disparition dans l’abandon le plus total. Au
comble de la solitude, le héros agonisant a vraiment attendu les derniers
sacrements et la venue de Leverdier, son seul ami. En pleine crise de tétanie,
livré à une concierge imbécile qui a empoisonné ses derniers instants, il est
allé au bout du dénuement, de l’impuissance et de la douleur. Il a touché la
limite de la privation dans une parfaite déréliction. Une telle mort paraît le
comble du tragique. Pourtant, quelque chose s’y accomplit, qui métamorphose le
désespoir de Marchenoir et le renverse en pur amour, le héros accédant enfin à
une délivrance bienheureuse, au moment même où, dans la soumission, l’abandon
et la confiance, il « renonce à toute idée de salut. »
Antiphrastique, Le Désespéré place le lecteur dans une position herméneutique inconfortable. Le désespoir chrétien dont il tente de tracer la voie est un cheminement sur des escarpements spirituels où l’on finit par ne plus distinguer le précipice de la ligne de crête. Bloy, ce n’est point un hasard, aimait à apposer en dédicace de son livre cette citation de Carlyle : « Le désespoir porté assez loin complète le cercle et redevient une espérance ardente et féconde. » Il est, à cet égard, le cousin de Dostoïevski et de Kierkegaard.
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