« Quoi qu’on dise ou que l’on prêche, nous sommes les bons écrivains »

 

Source : La Décadence, le mot et la chose par Jean de Palacio, éditions Les Belles Lettres, collection Essais, relecture en cours.

Dans Paris en caleçon, Aurélien Scholl écrit : « On ne prend pas la décadence comme devise ni comme but. Qu’aurions-nous comme nouvelle école, après les décadents ? Un groupe qui se dirait des obscurantistes, puis une nouvelle école : les fous furieux. Où cela s’arrêterait-il ? Nul ne le sait. »

Ainsi, comme il y avait une interrogation sur l’amont (le nègre, le singe, le mollusque), il y a une interrogation sur l’aval (le déliquescent, le fou, le gâteux) : souci de l’inquiétante dérive, de la dégénérescence du Décadent au troisième ou au deuxième degré, toujours suivie selon un processus de type évolutionniste. Un passage des Physiologies parisiennes de Millaud (1886) le confirme : « Le décadent, si bas qu’il ait mis la poésie, n’est pas encore le dernier. Il a sous lui un têtard qui commence à s’exhiber sous le nom de déliquescent. C’est le commencement d’une suprême série qui ira des infusés aux putréfiés, en passant par les liquéfiés. »

Le Décadent est en milieu aqueux, se défait, ou plutôt se dilue ou se dissout dans une zoologie élémentaire (« infusé », « infusoire ») où le têtard déliquescent rejoint l’esthétard que l’on a vu dans la Jeune Belgique, confirmant la proximité des deux types. Max Jacob dira plus tard : esthétichien. Il est piquant de constater que le dernier écho de la « Prose pour des Esseintes » se trouve d’autre part chez un écrivain qui détestait la Décadence, vouait aux gémonies les noms de Baudelaire, Mendès et Lorrain, s’irritait de l’omniprésente référence à Rimbaud et disait de Mallarmé à Marcel Béalu : « Quelle bêtise d’aimer Mallarmé. C’est vraiment trop facile d’aimer ce qu’on ne comprend pas. »

Le seul « Décadent » grâce aux yeux de Max Jacob était apparemment Verlaine. Le Décadent est très souvent désigné au pluriel, comme constituant une secte, une clique, presque une harde. Alexis, on l’a vu, parle de « ces décadents », un « tas de gommeux, de décadents et de décadentes. » Huysmans disait « le clan décadent. » La seconde édition de Dédicaces de Verlaine (1894) contient encore la « Ballade en faveur des dénommés décadents et symbolistes. » L’odyssée de ce poème s’étend sur près de sept années (1887-1894) et quatre titres différents : « Ballade des bons écrivains » (1887) « Ballade pour nous et nos amis » (1887) « Ballade pour les Décadents » (1888) avant son titre définitif. Prévu initialement pour le recueil Parallèlement (1889), il parut successivement dans Le Décadent d’Anatole Baju (du premier au 15 janvier 1888) et La Plume de Léon Deschamps (15 janvier 1890) avant de figurer dans Dédicaces. (1890)

Cette odyssée, tant éditoriale que titrologique, a son importance. Elle rappelle que ce poème occupa Verlaine pendant une longue période de sa vie poétique et manifeste, dans ses fluctuations du titre, une prise de position assez nette où Verlaine se revendique lui-même comme décadent. Le premier titre « Ballade des bons écrivains » repris par le refrain de la ballade : « Nous sommes les bons écrivains » équivaut clairement à une profession de foi. L’envoi le confirme : « Quoi qu’on dise ou que l’on prêche / Nous sommes les bons écrivains. » 

Justification d’excellence autoproclamée : la pièce est écrite pur et en faveur de. L’usage du pronom personnel (nous) et de l’adjectif possessif (et nos amis) ne laisse aucun doute. Plaidoyer pro domo où Verlaine, loin de se désolidariser, se compte au nombre des Décadents et Symbolistes.

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