Source : Le Mauvais démiurge par E. M. Cioran, éditions Gallimard, collection Essais
Ce monde ne fut pas créé dans la joie. On procrée
pourtant dans le plaisir. Oui, sans doute, mais le plaisir n’est pas la joie,
il en est le simulacre : sa fonction consiste à donner le change, à nous
faire oublier que la création porte, jusque dans le moindre détail, la marque
de cette tristesse initiale dont elle est issus. Nécessairement trompeur, c’est
lui encore qui nous permet d’exécuter certaine performance qu’en théorie nous
réprouvons. Sans son concours, la continence, gagnant du terrain, séduirait
même les rats. Mais c’est dans la volupté que nous comprenons à quel point le
plaisir est illusoire. Par elle, il atteint son sommet, son maximum
d’intensité, et c’est là, au comble de sa réussite, qu’il s’ouvre soudain à son
irréalité, qu’il s’effondre dans son propre néant. La volupté est le désastre
du plaisir.
On ne peut consentir qu’un dieu, ni même un homme, procède d’une gymnastique couronnée d’un grognement. Il est étrange qu’au bout d’une si longue période de temps, « l’évolution » n’ait pas réussi à mettre au point une autre formule ? Pourquoi se serait-elle fatiguée d’ailleurs, quand celle qui a cours fonctionne à plein et convient à tout le monde ? Entendons-nous : la vie en elle-même n’est pas en cause, elle est mystérieuse et harassante à souhait ; ce qui ne l’est pas, c’est l’exercice en question, d’une inadmissible facilité, vu ses conséquences.
Lorsqu’on sait ce que le destin dispense à chacun, on demeure interdit devant la disproportion entre un moment d’oubli et la somme prodigieuse de disgrâces qui en résulte. Plus on retourne le sujet, plus on trouve que les seuls à avoir entendu quelque chose sont ceux qui ont opté pour l’orgie ou pour l’ascèse, les débauchés ou les skposky.
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