« Mieux vaut penser à rien que de ne rien penser du tout »

 

Source : Entretiens spirituels et écrits métaphysiques par Jean-Marc Vivenza, éditions Le Mercure Dauphinois.

La voie métaphysique est tout à la fois une connaissance et par elle un accès à l’essence de la vérité, mais aussi, concrètement, un véhicule et un abri, pour effectuer notre séjour au sein du monde et de sa totale confusion. Lorsque Heidegger écrit que « l’essence du Dasein consiste en son existence », il faut donc oublier ce que l’on croit la définition établie de l’existence, c’est-à-dire l’acte premier qui situe un être hors du néant, hors de ses causes, et plutôt regarder la possibilité qui autorise l’homme à expérimenter une « ouverture » par laquelle il doit se soumettre dans le dépouillement de toute chose, « dans l’ouverture duquel l’être lui-même se dénonce, se cèle, s’accorde et se dérobe » — Qu’est-ce que la métaphysique ? (Heidegger)

Cette « ouverture » est celle où règne le silence nocturne des vérités impensables, inexprimables, là où la pensée retourne en son silence originel ; l’existence dans la plénitude de son inexistence. Moment non manifesté, non-né, non-advenu. Temps inexistant, pour un lieu sans localisation, pour une parole vide de son silence, un dire vide du vide lui-même, un inconnu à jamais indicible et obscur, une « ténèbre » insondable et invisible, l’intense abîme du néant en son « Rien. »

En cet informulable où prend source toute pensée de la non-pensée, où s’origine le contact ontologique fondamental, où s’enracinent les premières lumières de la pensée matinale du logos philosophique, la partie nécessairement oubliée de l’Être, la révélation de l’inexistence en son « Rien », n’est qu’un moyen d’accéder plus avant dans l’absence de l’Être. L’intolérable existentiel ne peut de ce fait se comprendre, mais il est certain qu’une seule chance par lui nous reste offerte : celle d’accepter le non-sens. L’existant, le sujet, se retournant sur lui-même doit donc impérativement affronter dans « l’angoisse » la nuit vide, l’absence cruelle, son expulsion hors de lui-même vers le néant. 

C’est pourquoi le sujet n’est rien d’autre que cette « ouverture au Néant » à l’innommable altérité face à laquelle il affronte, tout en rencontrant sa tragique limite : limite tragique au sein de laquelle il atteint, tout en l’ignorant, son invisible souveraineté. Il n’est donc d’autre mission véritable, et en cela tient la vérité méta-ontologique, il n’est d’autre fin authentique pour l’être qu’une souveraine perte définitive qui le condamne au silence du « non-savoir » et aux ténèbres de la nuit, qui ouvre, au terme d’un cheminement dans le désert, en quoi consistent et que représentent les différentes formes de la traversée, sur les cimes de « l’Aurore naissante. »

En ce sens, le futur, de toute éternité et pour toute éternité, est une origine, une source, un commencement insaisissable et une vocation destinale, le produit d’un commencement qui est lui-même devenir, une racine qui est un germe, car le logos du commencement est dialectique, et ne se délivre que dans la négation. 

Cependant, pour éviter les erreurs sur cette « traversée » de l’obscur, il importe de savoir que l’existence est soumise à la limite radicalement, foncièrement, et qu’il n’y a donc, en conséquence, rien à posséder ultimement du mystère existentiel, rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d’elle-même, et qu’il n’y a rien non plus à dépasser car l’Être n’est jamais atteint ; il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible, dans son éloignement, ainsi, sans accès possible, l’Être est présent dans son absence et absent en tant que présent.

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