Ill. : « Je n’ai pas écrit que des c... » Source : À la recherche d’une autre Genèse, anthropologie de l’irrationnel, réédition amplifiée de Des Hommes, des Dieux et des Extraterrestres (1999), par Wiktor Stoczkowski, La Découverte Poche.
Les
applications pratiques des découvertes de la science sont si nombreuses et si
fantastiques que c’est seulement avec la plus grande mauvaise foi que l’on peut
contester la capacité de toutes les démarches scientifiques à produire des
connaissances reflétant la réalité objective avec fidélité.
Si les greffes d’organes sont aujourd’hui possibles et
couramment pratiquées, sauvant des milliers de vie, ce n’est pas parce que les
médecins y croient bêtement et qu’ils ont inculqué cette « croyance »
à leurs patients pour les dominer et les manipuler socialement, mais parce que
les sciences biologiques ont expliqué le fonctionnement de l’organisme vivant
de manière suffisamment adéquate pour rendre ces opérations réalisables et
viables.
En vertu de ce principe éprouvé selon lequel la preuve du pudding est qu’il se mange, la science a démontré par ses réalisations l’efficacité de ses démarches, ou du moins l’efficacité de certaines de ses démarches, ce à quoi la tradition occultiste ne s’est jamais montrée apte, attestant par là même que sa rationalité, car rationalité occultiste il y a, est moins performante que celle de la science.
Les occultistes glosent sur les
armes nucléaires, nous mettent en garde contre les vaccins et conjecturent sur
les usages possibles du clonage, mais ils n’ont découvert ni les vaccins, ni
les armes nucléaires, ni les techniques du clonage. Certes, bon nombre de
scientifiques passent leur existence paisible de fonctionnaires à ne rien
découvrir non plus, mais il y en a aussi qui parviennent à innover et à faire
progresser les connaissances de façon tangible, en démontrant ainsi que leur
rationalité, l’usage qu’ils font de la ration, atteint un degré supérieur
d’efficacité.
On peut admettre qu’il existe au moins deux formes de
rationalité : la rationalité performante et la rationalité circonscrite.
La première est hautement efficace, comme le démontrent les achèvements
pratiques de la recherche scientifique. Quant à la seconde, elle reste
tributaire d’une importante méprise sur la façon dont s’élaborent les savoirs bien fondés. Ceux qui en usent sont convaincus que les connaissances résultent
directement d’une accumulation de données d’observations recueillies indépendamment
de toute hypothèse, à moins qu’ils ne les tiennent pour de simples opinions que
chacun choisit arbitrairement selon ses préférences.
Nous avons vu des convictions similaires chez les
dänikeniens. D’une part, ils se plaisent à citer un nombre considérable de
« preuves » factuelles en assurant que leurs théories en découlent
avec l’évidence devant laquelle tout esprit non prévenu devrait s’incliner. De
l’autre, invités à s’expliquer sur les erreurs et les lacunes de leurs
raisonnements, ils s’empresseraient de revendiquer le droit d’avoir des
opinions subjectives, non sans souligner que ces opinions sont tout aussi
valables que les théories de la science, à leur avis les unes ne pouvant être
« démontrées » davantage que les autres.
Dans un cas, on procède comme si la réalité nous
parlait directement en livrant ses secrets par l’intermédiaire des faits
observables ; dans l’autre, comme si elle n’était qu’un écran sur lequel
nous pouvons projeter tout ce qui nous convient.
Sur ce point, la rationalité performante se singularise
clairement, offrant un moyen terme par rapport à l’empirisme et à
l’apriorisme : elle accorde un intérêt égal aux données d’observation et
aux conjectures spéculatives, mais les premières l’intriguent en tant qu’elles
résistent ou s’accordent aux secondes, et les secondes lui importent en tant
qu’elles peuvent être mises à l’épreuve des premières. Ne parvient à raisonner
efficacement ni celui qui reste persuadé que les solutions sont déjà inscrites,
toutes prêtes, dans le livre du réel, ni celui qui pense pouvoir les y inscrire
par le seul acte de sa volonté ou de sa foi ; l’efficacité est l’apanage
de celui qui imagine librement les solutions et qui, en même temps, prend le
soin de consulter le réel pour évaluer leur résistance.
L’étendue de la liberté que la pensée s’octroie en spéculant sur les solutions d’un problème est le deuxième critère important qui différencie la rationalité performante de la rationalité circonscrite… Il est probable que les conceptions ésotériques, avec leur vision de la Nature constamment livrée à des métamorphoses prescrites par un plan divin, aient aidé Alfred R. Wallace à construire sa théorie de l’évolution des espèces et incité Haeckel à explorer toutes les conséquences de la théorie darwinienne.
Si les
divers courants de l’occultisme ont pu alors stimuler la pensée de quelques
naturalistes, l’intransigeance de leur asservissement à un certain nombre de
thèses axiomatiques de la tradition occultiste a vite imposé ses limites à leur
réflexion ; la science, malgré le dogmatisme de ses paradigmes, ne fait
pas de ceux-ci des principes immuables, et accorde un prix certain à
l’innovation alors que l’ésotériste tient la fidélité à la Tradition pour une
vertu cardinale.
Les certitudes occultistes ont rapidement borné la réflexion de Wallace et lui ont interdit de rendre sa théorie de l’évolution aussi riche et sophistiquée que celle de Darwin. Les théories, avec leur lot inévitable de rigidité doctrinale, sont des béquilles utiles à la marche de la pensée tant qu’elles gardent leur statut de vérités provisoires et partielles ; devenues des certitudes axiomatiques, elles se transforment en chaînes qui attachent la réflexion à un espace exigu où elle a toutes les chances de tourner en rond.
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