Genèse 6:7

 

Source : L’Héritage théologique de Joseph de Maistre, dans les œuvres fictionnelles de Jules Barbey d’Aurevillly, Léon Bloy et Georges Bernanos, par Louise Durieux, éditions Classiques Garnier, collection Confluences N°8, sous la direction de Pierre Glaudes.

Dans Le Désespéré, Marchenoir déclarait qu’il « faut des centaines de millions de désespérés et d’exterminés pour faire la bonne mesure des souffrances que l’enfantement d’un unique élu coûte à la vieille humanité. »

En effet, tous les proches de Clotilde (Gacougnol, Léopold et son propre fils) sont sacrifiés à un moment ou un autre en sa faveur. Le peintre Gacougnol est mystérieusement lié au Missionnaire par la Miséricorde, l’un est le miroir de l’autre, comme l’indique la simple phrase que tous deux prononcent à des années d’intervalles : « Mon enfant, pourquoi pleurez-vous ? »

Dévoué à Clotilde, il sera immolé par quelque « insondable décret de justice commutative » et paiera sa bonté de sa vie. La mort du petit Lazare est aussi interprétée comme le légitime recouvrement d’une dette : les trois années de bonheur conjugal vécues par Clotilde et Léopold. Pourtant, même l’intolérable souffrance de la mort d’un innocent semble ne pas suffire.

« Léopold et Clotilde auraient été heureux trois ans. Trois ans ! Il fallait payer cela et ils virent bientôt que la mort de leur enfant ne suffisait pas. Songeant que leur part de joie dans le triste monde avait bien pu représenter les délices de dix mille hommes, ils se demandèrent si n’importe quoi suffirait jamais. »

Enfin, la mort de Léopold, annoncée par un rêve prémonitoire dans lequel Clotilde aperçoit au cœur d’une fournaise le visage de son époux dévasté par les tourments, est indissociable de son propre cheminement spirituel. Cet épisode, raconté au chapitre XXVI, comporte deux parties : dans la première, l’holocauste de Clotilde, dans la seconde, celui de Léopold. Ces deux épisodes sont simultanés : le premier a « neuf heures » et le second à « neuf heures cinq » sans doute au moment où Clotilde reçoit la certitude que sa prière est « exaucée admirablement. » Les deux incendies ont donc lieu de concert, et l’un semble permis par l’autre.

Le 27 février 1897, Bloy écrit dans son Journal : « Quelle idée magnifique pour le chapitre XXVI. L’incendie de l’Opéra-comique, transposé en délire d’amour divin dans l’âme de Clotilde. J’y ai travaillé cette nuit avec ivresse. » L’échange mystique est suggéré par le vocabulaire, identique dans les deux passages : « étincelles », « incendie », « flammes », « brûler. » De même, dans les deux extraits, l’incendie est une métaphore de la « maison de Dieu » où Clotilde a demandé d’entrer et où Léopold choisit de rester.

Grâce au sacrifice de Léopold, l’Esprit descend sur Clotilde, la sanctifie en faisant d’elle une âme vraiment pauvre : « l’époux terrestre laisse place à l’époux divin, en s’abîmant dans le feu de l’Opéra-Comique tandis que l’Esprit-Saint pénètre symboliquement en Clotilde. » La sainteté de Clotilde est indissociable de l’oblation de son époux.

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