Effusion

Source : L’Héritage théologique de Joseph de Maistre, dans les œuvres fictionnelles de Jules Barbey d’Aurevillly, Léon Bloy et Georges Bernanos, par Louise Durieux, éditions Classiques Garnier, collection Confluences N°8, sous la direction de Pierre Glaudes.

Dans l’œuvre aurevilienne, le sang versé peut racheter ses propres fautes : la main coupée et exsangue de Riculf qui porte la bague, signe de son crime, le désigne comme coupable et « la mare de sang » illustre avec force la nécessaire expiation. Retro Zöllner relève avec justesse l’opposition entre la main coupée « épuisée, molle et blanche » et la main du capucin au début de l’œuvre, « d’un galbe superbe », et ajoute « l’orgueilleux qui bravait Dieu a perdu de sa superbe, le châtiment qu’il a subi a peut-être tué en lui le criminel et l’a poussé vers la pénitence qui s’imposera chez les Trappistes. »

Mais le sang versé peut être expiation et rachat des fautes d’autrui. C’est le cas du « sang des martyrs » versé par la Révolution, qui purifie et régénère « car on enfonce dans le sang, pour se relever, divinement purifié par ce sang, qui purifie toujours. »

Le sang versé en abondance par La-Croix Jugan ou la Clotte lors de son lynchage par la foule est expiation, mais il comporte peut-être aussi une vertu compensatrice : le prêtre est présenté à plusieurs reprises comme un « martyr » et l’agonie de la Clotte dans la lande ramène provisoirement le prêtre à Dieu. La croix au front de Calixte, qui accuse toute émotion en prenant une couleur rouge sang et qu’elle cache derrière un bandeau pourpre, témoigne de sa fonction substitutrice : « Son front de crucifiée dilaté par la joie se gonflait sous le bandeau rouge qui l’encadrait comme une couronne d’épines ensanglantées. »

L’effusion sanglante lors des scènes de crucifix est présentée comme une nécessaire mortification et le prix du rachat. Ainsi, le sang qui coule de la croix et du front de Calixte lors de son hallucination est à la fois emblématique du péché de Sombreval et présage la nécessaire réparation du parjure :

« Oh, tu saignes aussi, toi ! Ils saignent donc tous, dit-elle comme si elle eût senti ruisseler dans ses mains la croix de son front, à travers son bandeau, et elle les regardait, hagarde, ses deux mains dont elle écartait les doigts avec un geste sinistre. »

La scène de la « sangsurière », qui a lieu après le départ de Sombreval au séminaire, revêt une dimension symbolique qui éclaire la fonction compensatrice du sang versé. Néel, qui a accompagné Sombreval une partie du chemin, aperçoit une petite fille esseulée qui pêche des sangsues en se servant de ses jambes comme appeaux. Cette enfant pauvre, maigre, solitaire qui se dévoue pour rapporter chez elle un morceau de pain pourrait représenter Calixte qui « s’offre en victime expiatoire, qui offre son sang pour racheter son corps, pour payer le prix d’une naissance scandaleuse, expier le crime de son père. »

L’image de la sangsue rappelle le prix qu’il faut lui payer : son propre sang, symbole de vie. Il n’est pas anodin que le corps de Calixte semble « exsangue » lors de ses crises et que lors des « saignées profondes » pratiquées par le docteur Hérault, le sang coule à peine. Le processus expiatoire dévore et détruit ses ressources vitales. Dans Une histoire sans nom, à l’épanchement sanglant se substituent des saignements rentrés, « plus amers, plus impitoyables. »

On peut citer la mort de Lasthénie, de dix-huit épingles dans le cœur et dont seules « quelques gouttes » de sang s’échappent. Le sang représente peut-être sa longue réparation, car « la jeune fille s’est tuée, lentement tuée, en détail, et en combien de temps. Tous les jours, un peu plus. » Il est une métaphore de souffrances longtemps contenues :

« Lasthénie résorba ses pleurs ; et les deux aiguilles reprirent leur mouvement dans le silence, qui recommença. » Scène bien courte, mais menaçante. Le suicide, que Barbey rend concret, avec un laconisme d’une brutalité inouïe, ce qui jusqu’alors était resté métaphorique. Ce cœur qui saignait sous les piqûres de la vie, il le tarit petit à petit, sous des piqûres matérielles. 

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