Кунсткамера

Source : Ourod, autopsie culturelle des monstres en Russie, par Annick Morard, édition La Baconnière

Le fonds 514 des Archives historiques de Saint-Pétersbourg, concernant « l’autorisation donnée à l’étranger, Wilhelm Schulz de Hambourg, de continuer l’exposition des figures de cire dans une baraque construite temporairement dans le parc Alexandrov » (où se trouve également le Jardin zoologique) témoigne de cette évolution. L’analyse du fonds nous apprend qu’en 1879, Schulz perdit l’autorisation d’exploitation qu’il possédait depuis 1863, sous prétexte entre autres, du mauvais état de la baraque, un balagan, « qui n’amène aucun embellissement au parc Alexandrov » mais au contraire le dégrade par son aspect déplaisant. »

L’argument esthétique semble crucial, puisque la commission souligne encore la « mauvaise facture » des figures de cire, qui « non seulement ne satisfont pas au goût esthétique, mais n’ont aucun fondement scientifique. » Enfin, conclut le rapport, l’attraction « a d’autant moins sa place dans le parc Alexandrov que des expositions semblables, d’allure soignée, existent de façon permanente dans les parties centrales de la capitale. »

Malgré l’opposition du propriétaire et diverses demandes de réaffectation, y compris dans d’autres jardins publics, Monsieur Schulz se verra contraint à la fin de l’été 1881 de démonter sa baraque, son balagan, dont la convenance, l’utilité et la pertinence dans un jardin public, sont désormais mises en doute. Plus généralement, l’affaire témoigne d’un nouveau changement d’itinéraire et de contexte dans les espaces de représentation de l’Autre : les figures de cire, parmi lesquelles quelques « monstres » apparaissent toujours en bonne place, quittent les lieux de divertissement vers la fin des années 1870 pour rejoindre les lieux d’exposition de type muséal.

Serait-ce d’ailleurs la collection de Wilhelm Schulz que l’on retrouve, entre autres objets d’exposition, dans l’un des plus grands panopticon du tournant du vingtième siècle, celui de M.A. Schulz-Benkovski ? La proximité des patronymes ainsi que la présence annoncée dans une publicité de « plus de 1000 figures de cire et momies égyptiennes et péruviennes » nous invitent à la supposer, sans pouvoir l’affirmer avec certitude. Quoi qu’il en soit, outre les espaces de loisirs en plein air, qui n’étaient généralement ouverts que sur une durée limitée, la fin du dix-neuvième siècle est marquée par l’existence de musées itinérants, aux collections extrêmement hétéroclites, appelées panopticums en russe comme en allemand, tandis que le français propose un maigre et insuffisant « musée de figures de cire » en traduction.

En réalité, le panopticum occupe une situation intermédiaire entre diverses formes muséales. La dénomination même de celui de M.A. Schulz ainsi que la nature des objets exposés rendent compte du statut incertain du lieu d’exposition ; avec le titre ambitieux de « musée et panopticum historique, anatomique, pathologique et ethnologique », la page de couverture du catalogue de 1893 annonce une « riche collection de représentations plastiques et allégoriques absolument exceptionnelles, issues de l’édifice mondial de la nature et de la vie humaine. »

Le musée est divisé en six sections originales, dont la correspondance avec la dénomination déjà composite du musée ne saute pas toujours aux yeux. 1. Section artistique 2. Panorama 3 Galerie de masques 4 Galerie de criminels 5 Inquisition espagnole 6 Section anatomique. » Les types d’objets exposés sont également d’une grande variété ; si les préparations anatomiques constituent l’essentiel de la sixième section, la deuxième propose des « vues panoramiques » de villes étrangères, la cinquième des reproductions d’instruments de torture utilisés durant l’Inquisition, tandis que les autres sections offrent au regard des curieux toutes sortes de dessins, peintures, photographies, caricatures, sculptures, moulages, bustes, figures de cire et automates.

Éclectique à souhait, la première section fait librement côtoyer le Roi de Bavière Ludwig II », une « poupée mécanique » représentant « Arabella, femme adorée du sultan marocain », une momie de Cléopâtre, reine d’Égypte, une peinture de « la magnifique Mélusine, nymphe, mi-poisson, mi-femme », mais aussi deux « frères Siamois » dont on ne saura sous quelle forme ils sont représentés. 

Cette section qui ajoute l’attribut « scientifique » à celui « d’artistique » à l’intérieur du catalogue, comporte en outre des représentants de diverses ethnies et nationalités parmi lesquelles « la princesse indienne Magabarata », « Maria Fratellini, célèbre cheffe de bandits italiens », « Yang Tsi-chun, mandarin en costume traditionnel national », « une beauté polonaise au bal-mascarade », « une jeune fille de Petite Russie » ou encore « Miss Voodvarell, une Américaine tatouée », pour se clore sur « Adrian Estichev, paysan russe, le célèbre homme-chien. »

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