Source : L’Héritage théologique de Joseph de Maistre, dans les œuvres fictionnelles de Jules Barbey d’Aurevillly, Léon Bloy et Georges Bernanos, par Louise Durieux, éditions Classiques Garnier, collection Confluences N°8, sous la direction de Pierre Glaudes.
Toutes les grandes figures de prêtres aurevilliens
abandonnent à un moment ou un autre le sacerdoce. Dans L’Ensorcelée,
l’abbé de La Croix-Jugan est entré dans les ordres sous la contrainte,
« obligé d’être prêtre pour obéir à la loi des familles nobles de ce
temps. » Il quitte aussi souvent que possible l’abbaye de Blanchelande et
s’adonne à sa passion, la chasse, occupation dans laquelle il excelle.
Animé d’un « fanatisme sanguinaire », il
oublie que « l’Église a horreur du sang » et finit par quitter
l’habit pour s’engager dans la chouannerie, tuant alors « autant de Bleus
qu’il a jadis tué de loups. » Après la défaite des Blancs, il continue de
conspirer, même un soir de Vendredi saint, lorsqu’il accueille Jeanne dans la
sacristie. Dans Une histoire sans nom, Riculf a lui aussi, dès les premiers
remous révolutionnaires, délaissé sa mission et est devenu « un des
premiers bandits du siècle. »
Enfin, Sombreval est « ce grand aveugle à qui l’orgueil et ses éclairs ont brûlé les yeux. » Sa faute réside dans son insubordination à la volonté divine. Lors d’une crise spirituelle profonde, envahi par le doute, il a prié Dieu de l’en délivrer et a imploré un miracle. Envieux du « prêtre de Bolsène, à qui l’hostie saigna sur les mains », il demande un signe. Fautive dans son énonciation même, la prière de Sombreval révèle sa faute : « vouloir faire croire », alors que seule la foi pourrait exaucer sa prière. Figure antéchristique par excellence, « Sombreval commence son histoire d’homme sans Dieu, là où le Christ finit la sienne, en Dieu. »
Le prêtre jette alors « le froc aux
orties » et s’autoproclame son propre Dieu. Son apostasie est cependant
paradoxale. Le narrateur lui-même hésite, le qualifiant tantôt de renégat,
tantôt d’athée, tantôt « d’insurgé contre Dieu. » Sombreval définit
Dieu comme une « chimère », mais craint de retrouver dans la croix du
front de Calixte « le Seigneur offensé et terrible » et quand il
embrasse sa fille, cette croix « le foudroie par ce signe muet jusqu’au
fond de son être. » Conscient de l’ampleur de sa faute, Sombreval
désespérerait-il ? L’excipit du livre accroît l’ambiguïté du
personnage : c’est moins de l’athéisme dont Sombreval fait preuve que de
haine de Dieu. Il déterre le cadavre de sa fille et refuse de la laisser dans
cette « terre bénie » qu’il « hait », affirme qu’il est
« son seul père », défie Dieu et l’accuse d’être un bourreau.
Par ce défi direct, Sombreval se distingue des autres
personnages des œuvres comme le héros luciférien par excellence. Par ailleurs,
il ajoute à la libido dominandi le vertige d’une autre
concupiscence : la libido sciendi, indissociable de la première. En
effet, ses recherches scientifiques lui confèrent une impression de maîtrise,
voire d’hégémonie sur la création. En cherchant la combinaison qui sauvera
Calixte, Sombreval témoigne d’un « orgueil qui lutte contre Dieu. »
Il n’est guère étonnant que sa science soit associée au satanisme dans l’œuvre,
à travers la description du laboratoire où il exerce. La Malaigne est la
première à parler de « la couronne de l’enfer », pour décrire la
lueur qui s’échappe des lucarnes de son atelier la nuit et l’abbé Méautis,
effaré, le décrit comme « l’antichambre de l’enfer. »
C’est dans ce lieu que Sombreval pense se rendre maître de la vie en étudiant la « formation et la décomposition du sang. » En tuant la Gamase avec un poison de sa composition, il s’exclame : « Dieu, c’est moi. » Calixte est aussi, selon ses propres mots, « sa créature », terme qui traduit peut-être sa volonté de la faire « davantage à son image », ad imaginem suam. D’ailleurs, Sombreval a omis de lui transmettre dans sa jeunesse « l’idée de Dieu » et la jeune fille est restée longtemps dans l’ignorance des choses sacrées. Par son refus de ses propres limites, Sombreval s’affirme comme la figure par excellence de l’orgueil.
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