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Source : Entretiens spirituels et écrits métaphysiques par Jean-Marc Vivenza, éditions Le Mercure Dauphinois.

Dieu crée toutes choses ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien d’existant auparavant et non à partir d’un « rien substantiel », et leur confère l’être, un être qui est donné et reçu. C’est ce qui est exprimé dès les premières lignes du Traité sur la réintégration des êtres de Saint-Martin : « Avant le temps, Dieu émana des êtres spirituels pour sa propre gloire, dans son immensité divine. »

Mais il y a chez Martinès de Pasqually un élément novateur, du moins très différent de l’enseignement de l’Église depuis la condamnation des thèses d’Origène au sixième siècle, qui tient à la notion de « nécessité », ce qui en fait une thèse inacceptable pour les docteurs, théologiens, Pères de l’Église, en ce sens que cette nécessité implique une contrainte de la part de Dieu qui se serait vu, au commencement des temps, dans l’obligation de créer le monde matériel pour y emprisonner les esprits rebelles.

« Ces premiers esprits ayant conçu leur pensée criminelle, le Créateur fit force de lois sur son immutabilité en créant cet univers physique en apparence de forme matérielle pour être le lieu fixe où ces esprits pervers auraient à agir et à exercer en privation toute leur malice. » (Traité, 6)

Dieu, « qui fait force de loi », est donc victime de sa propre création ; une révolte ayant éclaté au sein de l’immensité divine, et il lui est devenu « nécessaire » en faisant « force de lui sur lui-même », c’est-à-dire par contrainte et en allant contre ses plans, d’ordonner la constitution d’une « matière » ayant fonction d’être un cachot dans lequel les esprits rebelles expient leur faute.

Ce monde matériel, de par son origine contrainte ou « nécessaire », est donc qualifié par Martinès « d’apparent » ce qui renforce plus encore l’éloignement par rapport aux positions ecclésiales, car ce qui est dit « apparent » ne signifie pas seulement inexistant ou irréel, mais synonyme de « créé » et en ce qui concerne la matière, créée de façon imparfaite, impure et souillée, « puisqu’elle est le fruit de l’opération d’une volonté mauvaise » (Traité, 30) produite, qui plus est, non directement par Dieu, mais par des esprits inférieurs agissant sur ordre du Créateur pour former les corps à partir de trois essences spirituelles…

Il y a donc bien une distance observé à l’égard du monde, tant chez Martinès que ses deux principaux disciples : Willermoz et Saint-Martin qui tiennent exactement les mêmes propos et affirment des thèses absolument identiques concernant le monde matériel créé sous contrainte « nécessaire », à savoir que sans prévarication des esprits rebelles, il n’y aurait jamais eu de Création ni même d’homme, et ce point est en contradiction absolue, ceci rappelé encore une fois, d’avec la conception de la Création selon le dogme de l’Église pour lequel la Création n’est pas une conséquence de la Chute, mais un don d’amour, l’expression d’une générosité diffusive, un témoignage de pure Charité.

Avec Martinès, la tonalité est tout autre, radicalement autre : « Sans cette première prévarication, aucun changement ne serait survenu à la création spirituelle, il n’y aurait eu aucune création de borne divine, soit surcéleste, soit céleste, soit terrestre, ni aucun esprit pour actionner dans les différentes parties de la Création… »

Cette vision peut-elle être qualifiée de dualiste ? Incontestablement, et elle est même l’expression, en terrain initiatique, d’un origénisme dont on sait qu’il influença grandement, plus tard, le dualisme médiéval.

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