Source : Entretiens spirituels et écrits métaphysiques par Jean-Marc Vivenza, éditions Le Mercure Dauphinois.
Massimo Cacciari dans Futurisme & Futurismes,
aux éditions Le Chemin vert, fait remarquer que le futurisme représente
un moment tout à fait spécifique, où la religiosité gnostique, en liaison
secrète et invisible avec la Tradition, émerge avec une force et une énergie
exacerbée : « Les textes fondateurs du mouvement le montrent. Face à
l’armée des étoiles ennemies se dressent, gonflés d’orgueil, les jeunes coqs de
la solitude. Ce sont des étrangers, des autres, des hors-venus, dont la patrie
est au-delà du cosmos visible, du kosmos et des étoiles, et de leurs
archontes. Les âmes des étrangers sur la terre forment un genos, une
race voisine de l’essence divine invisible. C’est la race des solides, des
immuables, des inébranlables. » La signification religieuse de ce récit
veut être précisément celle des grandes mythologies gnostiques : la vision
d’une humanité assoiffée d’une vérité absolue.
Dès leurs premiers manifestes, les futuristes se
présentent comme des esprits étrangers, allogènes, des êtres d’une autre race,
que les forces de l’univers ne peuvent dompter. « Les étoiles et la lune
sont les gardiens de la Nécessité : ils gouvernent les lois du temps et de
l’espace, selon le principe inexorable de la causalité. C’est pourquoi la lune
doit être détruite. » Avec justesse, Cacciari note : « Le thème
de l’obscurcissement de toute lumière dans l’univers déjà présent dans nombre
d’œuvres du début du siècle [par exemple, la Victoire sur le soleil de
Malevitch] trouve ici son explication la plus convaincante. » Il devient
donc relativement évident que le processus créateur futuriste obéissait à une
perspective métaphysique précise, dont les formes de l’abstraction géométrique,
de l’art mécanique et de l’aéro-peinture, représentèrent l’accomplissement
concret. »
Le gnosticisme a toujours considéré le ciel étoilé comme une armée d’oppresseurs, comme les barreaux de la prison où l’âme est enfermée. Pour dépasser ces limites, l’âme doit apprendre à voler, elle doit avoir des ailes, elle doit devenir un ange. Le thème de l’envol, loin des contraintes spatio-temporelles du monde visible, est primordial dans l’imagination gnostique. Il est parfaitement représenté par le symbole futuriste de l’aéroplane et par les conquêtes des étoiles de Marinetti. L’aéropoésie de Marinetti ne glorifie pas la vitesse pour elle-même, mais en ce qu’elle permet aux Autres de dépasser les limites du firmament, du celum stellatum où habitent des archontes démoniaques des entités inférieures.
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