« Un monde où on tuerait pour une virgule »

 

Maximov rapporte qu’à un festin chez Gorki, Staline écrivit sur un manuscrit de la Jeune fille et la mort : « Ceci est plus fort que le Faust de Goethe. L’amour vainc la mort. » Or, Staline a oublié la virgule qui, normalement, en russe sépare la subordonnée de la principale. Un jeune linguiste fait une thèse de doctorat sur la « révolution de la ponctuation » d’après cette phrase de Staline. Mais seize ans plus tard, Staline se fait apporter au Kremlin le manuscrit et d’un geste large, ajoute la virgule, renvoyant ainsi aux oubliettes le carriériste imprudent… Le « jeu de la virgule » est un jeu avec la réalité. Dans le déplacement magique de toutes les valeurs et de tous les faits qui caractérise le pouvoir stalinien, la virgule restaurée est une sorte de surréalisme au second degré. Que la main qui peut anéantir hommes, peuples et cultures puisse aussi rendre à la virgule ce qui est dû à la virgule stupéfie aussi fort que les plus grands miracles.

Georges Nivat

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