Source : Lénine a marché sur la Lune, la folle histoire des cosmistes et des transhumanistes russes par Michel Eltchaninoff, éditions Solin/Actes sud
L’école de Moscou s’attache à redéfinir les fondements
des mathématiques, comme l’école de Paris ou les mathématiciens allemands et
britanniques à la même époque. Ses représentants travaillent sur les paradoxes de la théorie des ensembles
de l’Allemand Georg Cantor qui, en 1873, montre que l’ensemble des nombres
entiers (discontinu) et l’ensemble des nombres réels (continus) comportent des
nombres infinis d’éléments différents. Il faut donc distinguer entre des types
d’infinis.
Les représentants de l’école de Moscou, Dimitri Egorov
et Nikolaï Loujine notamment, révolutionnent leur discipline en appuyant leurs
spéculations sur une hypothèse théologique et philosophique qui secoue le monde
intellectuel de l’époque ; la question de la présence de Dieu dans son
nom. Lorsqu’on le prie et que l’on prononce le nom de Dieu, celui-ci est-il
réellement présent ? C’est la conviction du courant des onomatodoxes ou
onomatodules (adorateurs du nom) qui se développe avant la Première Guerre
mondiale dans un monastère du mont Athos. Le succès de ce mouvement est tel que
le Tsar Nicolas II expédie, par bateau, des troupes qui prennent d’assaut le
monastère, arrêtent les moines, considérés comme hérétiques, et les rapatrient
manu militari.
Mais les philosophes s’emparent de la question. Ce sont
les continuateurs de Soloviev. Pavel Florenski (1882-1937) qui est aussi
mathématicien et prêtre, et qui sera fusillé durant la Grande Terreur
stalinienne, considère que le nom d’une chose est le mode d’accès à son
essence. Il en dévoile à la fois son côté physique, par le son ou l’écriture,
et le côté idéal, par le sens. Un autre philosophe russe intervient dans le
débat sur les onomatodules : c’est Sergueï Boulgakov (1871-1944)
Dans sa Philosophie du verbe et du nom, il fait
du nom l’une des manifestations de la vérité de l’univers : les mots
« expriment une certaine qualité de l’être… C’est un témoignage de
lui-même que le cosmos fait résonner dans notre esprit » considère celui
qui deviendra prêtre et vivra en France, après avoir fui la Révolution. Selon
lui, les mots « vivent car le logos cosmique y est présent. »
Inspirés par la divinisation des concepts, les mathématiciens de l’école de
Moscou peuvent développer leurs hypothèses, tout en dissimulant leurs penchants
mystiques, pendant les années 20.
Mais Egorov est arrêté en 1930, accusé par l’État soviétique d’appartenir à une Église soviétique d’appartenir à une Église illégale et de « mélanger mathématiques et religion. » Il meurt à la suite d’une grève de la faim en prison. Le dogme marxiste doit prendre le dessus sur la science religieuse, mais c’est au sein de cette atmosphère, dans laquelle on fait servir les sciences à des spéculations théologiques, qu’est apparu le cosmisme.
Commentaires
Enregistrer un commentaire